L'AUTO-JOURNAL, 01.10.1995

PROST, TA VALSE A 20 ANS!


IL Y A VINGT ANS, KEN TYRELL FELICITAIT UN PETIT BONHOMME TIMIDE VENU DE SAINT-CHAMOND, PRES DE CLERMONT-FERRAND, ET QUI VENAIT DE GAGNER LE VOLANT ELF. EN FAIT UNE ETOILE ETAIT NEE, QUI ALLAIT BRILLER VINGT ANNEES DURANT. CONVERSATION AVEC UNE ETOILE, DONC. (PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE GASTON)

ALAIN PROST, VINGT ANS, VINGT ANS DEJA QUE TU AS DEBUTE EN SPORT AUTOMOBILE ET TU VIENS À PEINE D'ARRETER. QUEL BAIL!
Oui, ça fait un joli bail, en effet. Un joli bail, un long bail... (Il est rêveur).

QUELLE LEçON EN TIRES-TU D'ABORD? TA PREMIERE IDEE SUR CES 20 ANS DE COMPETITION, C'EST QUOI?
Ma première idée?... C'est que je me suis foulé le poignet une fois, en Afrique du Sud, avec la McLaren de mes débuts, et que j'ai réalisé là, et seulement là, qu'on pouvait se faire mal en sport automobile; ça a changé mon approche de la course, du tout au tout.

C'EST-A-DIRE?
Eh bien! Je vais vous faire un aveu: j'ai toujours couru avec la peur au ventre. Et c'est pour cela qu'on ne me reverra plus courir, du moins en F1, en tout cas. Et si je suis devenu un très bon metteur au point, et si j'adorais les séances d'essais, c'est justement à cause de cette peur qui me tenaillait. Je ne tenais pas à mourir jeune, le nez dans un rail. Alors, j'ai appris à régler mes voitures de façon à aller aussi vite que mes adversaires en ayant à forcer bien moins d'eux. J'ai rarement piloté à 100 % de mes possibilités. A 110 %, une ou deux fois, parce que Senna m'y avait poussé, c'est tout.

MAINTENANT QUE TU EN ES DETACHE, QUEL REGARD PORTES-TU SUR LA F1?
Ça me paraît parfois surréaliste, à côté du monde, c'est comme une bulle qui vole de circuits en circuits. Un barnum, des cameramen, du public, des micros, de la passion, de la folie, du bruit... Cela dit, la technique me passionne toujours autant, et la course, en elle-même, aussi.

D'OU CETTE AMORCE DE RETOUR CHEZ MCLAREN, EN QUALITE DE TEAM MANAGER?
On avait juré de ne pas parler de l'avenir immédiat...

EXACT, PARDON. REVENONS-EN DONC À CE SAMEDI 25 OCTOBRE 1975. TU TE POINTES AU PAUL RICARD. TU JOUES TON AVENIR, TA VIE PRESQUE. ON DIS QUE TU AVAIS EMPRUNTE LA COMBINAISON DE TAMBAY, TOI QUI ES SI ORDONNE! ET AUSSI QUE TU AVAIS MANIGANCE POUR OBTENIR TELLE VOITURE, CENSEE ETRE MEILLEURE QUE LES AUTRES...
Ça, l'histoire de la voiture, c'est une légende. Les affaires de Tambay, ça, c'est vrai. Et puis il y a eu la leçon de double pédalage, à bord d'une Estafette, que m'avait donnée Simon de Lautour, le moniteur en chef, parce-que je ne le faisais pas dans ma voiture. Je l'ai écouté, regardé, imité et j'ai continué à ne pas le faire. Je trouvais que ça faisait perdre du temps. Pareil pour les trajectoires: les miennes n'étaient pas particulièrement celles recommandées par l'école. Et j'ai gagné comme ça, en n'écoutant que moi.

C'EST BIEN UN TRAIT DE TON CARACTERE!
Oui, mais il le faut! J'ai demandé tout de suite à gérer moi-même mon budget, à m'occuper seul de ma saison. Comme ça, si je perdais, je ne m'en prenais qu'à moi-même. Alors, j'ai embauché deux mécanos, Gérard Maillet et Jean-Pierre Nicolas, et roule la galère... Je prenais pension chez Jeannette, à Saint-Parize, pour 27 F par jour, tout compris! On était un peu romanos, on avait des looks de chiens maigres, mais c'était sympa.

CE QUI FAIT - EN GROS - QUE TU N'AS À DIRE MERCI QU'A ALAIN PROST...
Personne ne m'a jamais rien appris. Mes mécanos, dont je parlais tout à l'heure, ont compté, bien sûr. Ils avaient l'expérience d'une ou deux saisons de Formule Renault et ils m'ont appris des choses, des petits trucs, puis après, ça a été progressif, continuel.

PERSONNE À REMERCIER, DONC?
N'exagérons pas... Mais tenez, je vais vous surprendre. Vous savez à qui je dois dire merci, d'abord? A ceux qui je dois dire merci, d'abord? A ceux qui m'ont aidé - et appris - à l'époque du kart, et que personne ne connaît: Yannick Auxemery, Jean-Claude Pelletier, et Michel Fabre, qui m'ont aidé bénévolement. François Guiter (patron du sponsoring Elf), ensuite, a beaucoup compté, à l'époque où j'étais planté dans une impasse et où il m'a ouvert les portes de la F1... Puis Tico Martini (constructeur de monoplaces) et Hugues de Chaunac (patron d'écurie). Tous les autres, je leur ai fait gagner de l'argent, de la renommée ou autre chose, c'était donnant donnant... Je ne leur dois donc rien.

REVENONS-EN AUX DEBUTS, MAIS À CEUX DES AUTRES, DES JEUNES D'AUJOURD'HUI. QUEL REGARD POSES-TU SUR LES ECOLES, FILIERES, ET AUTRES DEBUTS DE CARRIERES?
Je ne suis pas du tout d'accord avec la manière dont c'est géré! Moi, quand j'ai débuté, on te disait: "Voilà, ou tu gagnes ton championnat - et on t'aide l'année prochaine -, ou tu ne gagnes pas et alors, tchao, bonsoir Clara!" C'était un école plus dure. Mais plus efficace, je crois. On ne fabrique pas des Berlioz, des Mozart, des Cézanne, des ce que tu veux. Quand il y a un mec doué, ça se voit tout de suite, ou du moins, ça devrait. Car aujourd'hui, comme il n'y a pas de sélection naturelle dès le départ, à cause du système des redoublements, ça rend la tâche floue.

DIS DONC, TU NE DOIS PAS ETRE UN CHAUD PARTISAN DE LA FILIERE ELF, TOI QUI ES ISSU D'UNE ECOLE ELF? QUE PEUX-TU EN DIRE?
Ce que je peux et veux dire concerne le sport tout entier. Aussi bien on monte des jeunes sans considération, aussi bien on laisse tomber comme de vieilles chaussettes. Il y a là un vrai problème. La liste des espoirs français du pilotage des années 1980-1990 est longue. Combien ont percé? Le problème, c'est qu'on les a tous mis dans le même moule, qu'on les assistés sans les lasser se dem..., et ça, ça me déplaît profondément.

QUAND TU REGARDES DANS LE RETRO DE TES 40 ANS, C'ETAIT QUAND, LA PLUS BELLE EPOQUE DE LA COURSE? ALLEZ, DIS-LE, VA...
C'est vrai qu'il faut se forcer un peu à le dire, qu'on ne devrait pas, à la limite, mais la plus belle époque c'était celle des turbos, des monoplaces avec 1400 ch aux essais... un effet de sol étourdissant... Monaco là-dedans, c'était la folie. Des "caisses pour hommes", comme on dit. Mais ça n'était pas très sérieux, il faut le reconnaître, et la FIA a eu raison d'interdire tout ça. Mais pour nous, quel pied! Parce que ça réclamait un feeling extraordinaire. Presque 1500 ch. et pas de contrôle de traction, d'antipatinage, de freinage asservi, de correcteur d'assiette, rien de tout ça... Des avions de chasse au ras du sol, voilà ce que c'était. Et, en plus, une ambiance extraordinaire. Un grand respect mutuel. Flippant, mais beau. Incroyablement excitant...

ET AUJOURD'HUI, ALORS, C'EST EXCITANT?
Bof... sans plus. Le commentaire télé, j'en ai fais le tour. Je ne piloterai plus... Senna me manque, je suis sûr que nous serions devenus de bons amis, une fois la guerre en piste finie.

OUI, MAIS TES FONCTIONS CHEZ MCLAREN?
Ne m'agace pas! On avait dit qu'on n'en parlerait pas!

C'EST VRAI. MAIS ON PEUT TOUJOURS ESSAYER... TIENS, PARLONS DE L'AVENIR D'ALESI CHEZ BENETTON. QU'EN PENSES-TU? QUEL CONSEIL LUI DONNES-TU?
Un, d'apprendre l'anglais. Deux, de se débrouiller pour battre tout le monde... Il risque gros. Mais qui ne risque rien n'a rien, non plus!

LA PLACE NOUS MANQUE. ALAIN, POUR CONCLURE, VINGT ANS, C'EST LONG?
Pierre Balleydier, mon osthéo-kinéchino-montagnard prétend que j'ai un corps de jeune homme. Alors, non, vingt ans, c'est pas long. C'est pour ça qu'il faut vous attendre à me voir un jour disparaître totalement, dans une tout autre vie que celle de la F1 ou du sport automobile, et que vous n'entendrez plus parler de moi, comme c'est le cas de Jody Scheckter, par exemple. Des fois, j'aimerais qu'on m'oublie, qu'on ne me reconnaisse pas. Alors, je retéléphonerai aux copains du karting... Et une autre vie commencera. Je suis aujourd'hui à la croisée des chemins.



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