SPORT-AUTO, 01.11.1992

Alain PROST se confie.



Par Philippe Séclier.

Presque deux heures d'interview pour faire un tour d'horizon complet. Prost a parlé de tout. De son retour évidemment, de ses espoirs, de ses craintes, des excès comme des succès de la F1, de Renault comme de Honda, de Williams comme de McLaren, de Mansell comme d'Häkkinen, de Ligier comme de Peugeot. Et de son année sabbatique, aussi. De cette vraie fausse absence dont on a tant parlé.

Vous auriez imaginé un jour reconduire pour Renault?

Vous savez en Formule 1 on se dispute, on se déchire et on se raccommode très vite. En 1984, lorsque je suis arrivée chez McLaren, je ne peux pas dire que j'avais des contacts sérieux, mais il y avait toujours la possibilité de revenir avec eux.

C'est une éventualité qui a germé un peu plus votre esprit ces dernières années?
Oui. Quand ils ont arrêté, fin 86, je continuais à voir assez souvent Bernard Dudot et une ou deux personnes de son équipe. Ça faisait un peu mal de ne plus les voir, et malgré tout c'était sympa de savoir qu'ils gardaient un œil sur tout ça. Mais je vais être très honnête: j'ai toujours pensé que tant que Honda serait en Formule 1, il serait pratiquement impossible de les battre. Je l'avais d'ailleurs dit à plusieurs reprises. Donc, ce que vient de faire Renault avec Williams, la manière surtout, c'est exceptionnel.

Ce succès vous étonne?
Quelque part oui, ça m'étonne beaucoup. Ce qui m'étonne, c'est… non, ce que j'apprécie surtout, c'est l'évolution qu'ils ont suivie depuis 1985. Il y a d'abord eu une évolution de mentalité, d'organisation de travail et puis une évolution technique. Et elle est vraiment impressionnante.

Vous connaissez bien ces deux constructeurs. A première vue, quelle comparaison peut-on faire entre Honda et Renault?
J'ai toujours pensé que Honda était vraiment supérieur d'abord grâce à sa débauche de moyens financiers, techniques et humains que personne n'avait jamais déployée auparavant en Formule 1. Il suffit de se rendre au centre de recherche de Wako pour voir comment ils travaillent et on comprend très vite. Nous, les Européens, du moins les Occidentaux, on ne peut pas travailler comme ça. C'est vrai qu'à une époque, en plus de l'argent investi, cette manière de voir les choses faisait qu'ils étaient absolument imbattables, avec en plus l'organisation McLaren. Donc, je suis ravi de dire que je m'étais trompé. Je pense qu'ils sont moins talentueux, qu'ils ont moins de créativité que les Européens. Ils ont davantage tendance à copier ou à essayer des tas de choses à la fois. Un exemple: quand je suis allé pour la première fois chez Honda, deux ans avant le changement de réglementation des moteurs atmosphériques, j'ai pu voir au banc un V8, deux V10 et un V12 qui tournaient! Quand on sait ce que cela nécessite au niveau des investissements… face à cette débauche extraordinaire, il n'y avait pas grand-chose à faire. Mais la morale est sauve, parce que les facteurs humain, talentueux, novateur, et je dirai même le facteur "fantaisie", peuvent faire la différence. Et c'est ce qui fait dorénavant la force de Renault. C'est vrai aussi que l'osmose entre Williams et Renault est prépondérante. Entre McLaren et Honda, c'était trop hermétique.

Plus qu'un quatrième titre mondial, ce n'est pas plutôt un manque que vous ressentez de ne pas avoir été titré en 1983 avec Renault et qui vous a incité à signer chez Williams?
Oui, un peu. Un quatrième titre de champion du monde avec une équipe étrangère, honnêtement – mis à part avec Ferrari parce que c'est le côté mythique – ce n'est pas ce qui me motivait le plus. Sur le plan affectif, c'est vrai que c'est super de retrouver Renault, mais ce qui me motive aussi c'est le challenge technique. C'est de pouvoir collaborer avec Patrick Head et Adrian Newey, des gens avec qui je n'ai jamais travaillé. Et j'ai vraiment envie.

Aujourd'hui, où se trouvent les différences fondamentales entre Williams et McLaren?
McLaren a une organisation impeccable mais ils ont tendance à travailler un peu trop comme on le faisait il y a quelques années. Williams, Renault et même Elf anticipent davantage. Mais ça ne date pas d'aujourd'hui. Il y a deux ou trois ans, on pouvait faire le même constat déjà, sauf que le retard pris par McLaren sera difficilement rattrapable. Au niveau du management, on peut aussi se poser des questions: Ce n'est pas polémique ces que je vais dire mais le fait, par exemple, de laisser prendre trois mois de vacances à un pilote, de ne pas tourner pendant l'hiver et de croire qu'on va arriver compétitif à la première course, ça marchait il y a quatre ou cinq ans mais plus maintenant.

Et quand vous étiez chez McLaren, vous ressentiez déjà ce phénomène?
Oui, bien sûr. Il suffit de reprendre mes déclarations de l'époque, concernant les châssis. Surtout en 1989, où nous n'étions pas bien. Cette mauvaise passe que traverse McLaren ne m'étonne qu'à moitié. Mais ils ont les capacités pour revenir quand même au premier rang.

A quels genres de rapports vous attendez-vous à avoir avec l'équipe Williams, et notamment Frank Williams?
Je pense qu'il faut d'abord avoir des rapports humainement irréprochables sur le plan professionnel. Ensuite, si des rapports d'amitié viennent naturellement, tant mieux. Mais, dans une équipe anglaise, il n'y a pas de place pour les sentiments.

C'était le cas chez McLaren?
Oui, mais bon, chez McLaren, j'avais quand même des relations d'amitié avec Ron Dennis et Mansour Ojjeh. Vraiment d'amitié. Honnêtement, donc, c'était un peu différent. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que ça soit toujours très bon. Ce n'est pas mieux non plus d'avoir des relations dures et tendues, je crois qu'il faut surtout avoir une relation de respect. La plus professionnelle possible. Et pour moi, avec les Anglais, c'est certainement plus facile. En deux jours d'essais à Estoril, j'avais déjà l'impression d'avoir travaillé avec eux depuis un an.

En disant cela, vous vouliez faire allusion aux équipes latines? A Ferrari?
Chez Ferrari, l'ambiance est extraordinaire. On a l'impression d'être ami avec tout le monde dès le premier jour. Seulement, par derrière ce n'est pas tout à fait pareil.

De Frank Williams ou de vous, lequel des deux était le plus demandeur?
Bah... Disons que, automatiquement, j'étais demandeur mais ce n'est pas parce qu'un pilote est demandeur qu'il est pris. Dans ce milieu, vous savez, il n'y a pas de sentiment... Avec Frank, depuis très longtemps, on a toujours eu des contacts très étroits. Depuis 1982, entre les courses, à l'inter-saison, on s'appelle régulièrement. C'est le seul team-manager qui m'a toujours appelé régulièrement. J'allais oublier Enzo Ferrari, aussi. Bien sûr que Frank était aussi demandeur... Et pas depuis quelques semaines, depuis l'année dernière déjà.

Au niveau des ingénieurs, votre référence a toujours été John Barnard. Où situez-vous Patrick Head?
Sur le même plan. Si je faisais davantage référence à John Barnard, c'est aussi parce que je le connaissais plus. Mais Patrick Head a peut-être un gros avantage sur Barnard, c'est qu'il sait déléguer beaucoup plus facilement. Ce que John a toujours eu du mal à faire.

Il s'en est vraiment fallu de peu pour que vous reveniez chez McLaren?
De peu ou de beaucoup, ça ne veut pas dire grand-chose. C'est évident qu'il y avait une possibilité. Si je n'avais pas conduit chez Williams, disons que j'aurais peut-être conduit chez McLaren mais ce n'est pas sûr. J'aurais peut-être arrêté, tout simplement.


Revenir pour moi, c'était revenir au top. S'il faut repartir dans une équipe en se disant: voilà, je m'investis à fond mais ça paye uniquement l'année d'après... je n'ai plus 25 ans et la patience d'attendre. Là, avec Williams, je suis motivé dès le premier jour. Avec McLaren, il y avait beaucoup trop d'incertitudes.

Qu'est-ce que vous inspirent les contacts entre McLaren et Ligier, sachant qu'au début de l'année il était déjà question de rachat et que vous étiez en grande partie concerné?
Disons que... mon problème était complètement différent. Ce n'était pas vraiment un rachat. Là, on ne sait pas très bien ce que c'est au juste. C'est très délicat. Si on se met du côté de McLaren, c'est peut-être une solution mais je ne vois pas comment ça peut bien se passer. C'est vrai que pour le Championnat, ça pourrait être super, mais c'est un peu oublier tout le reste et c'est réfléchir un peu trop à court terme. En fait, je n'ai pas tellement envie de m'en mêler parce qu'on va dire que je suis au milieu de cette affaire. Or, ce n'est plus le cas maintenant.

L'épisode Ligier du début de l'année ne vous donne aucun regret?
On ne peut pas avoir aucun regret parce que c'était vraiment un projet qui me tenait à cœur. On est vraiment passé très près. Et l'organisation que je voulais amener, les gens qui m'auraient entouré, dont je ne peux pas parler, je crois que c'était un truc super à moyen terme.

Il n'y aura donc jamais de grande équipe de Formule 1 en France?
Il ne faut pas dire ça. A tous les niveaux, il y a encore pas mal d'intérêts par rapport à un pareil projet.

C'est une idée qui vous tiraille encore maintenant?
Alors là, je vais être très clair. Pour l'instant, je suis à 100 % chez Williams. On ne peut pas faire deux choses à la fois. Il est hors de question, pour moi, de bouger dans ce sens maintenant.

Toujours dans ce domaine, qu'est-ce que vous diriez à Jacques Calvet qui s'apprête à prendre une décision concernant l'avenir de Peugeot en Formule 1 ou ailleurs?
Peugeot a besoin de la F1, c'est mon avis. Et s'ils viennent, il faut qu'ils le fassent avec leur châssis et leur moteur. Ça serait vraiment dommage qu'ils s'arrêtent en si bon chemin. Ils ont investi énormément, ils ont des gens vraiment très compétents. C'est le moment de venir. Au niveau image, ils en ont besoin. Regardez Renault, en ce moment, ils en tirent des bénéfices à tous les niveaux.

Vous vous souvenez du jour ou vous vous êtes dit: "cette fois, je ne courrai pas cette saison?" Qu'est-ce que vous avez ressenti?
Je m'en rappelle très bien. C'était à Paris, lors de la dernière réunion avec Guy Ligier, juste avant le Grand Prix d'Afrique du Sud. Je n'ai pas eu franchement d'états d'âme à partir du moment où je ne pouvais pas reprendre l'équipe, avec le passage obligé comme pilote en 92. Si j'avais vraiment éprouvé des regrets de ne pas pouvoir conduire cette année, je serais allé dans la foulée chez Benetton, mais la ce n'était même pas ça. Il ne faut pas oublier la saison que je venais de passer chez Ferrari. J'avais vraiment besoin de souffler. De me reposer.

Comment avez-vous occupé vos journées?
J'ai fait beaucoup, beaucoup de sport. Je me suis occupé de mes enfants. De mes affaires aussi. En fait, j'ai pu faire pratiquement tout ce que je ne pouvais pas faire quand je courais. Mener une vie complètement normale. Ne pas être stressé par la course. Ne pas avoir à me lever spécialement tôt le matin. Avoir une liberté presque totale pendant six mois, enfin pas tout à fait quand même... Mais je n'ai pas vu le temps passer.

Rester en contact avec la F1, comme vous l'avez fait en tant que consultant de TF1, c'était important pour vous?
Je me suis dit à l'époque quand on m'a proposé ça et maintenant avec le recul, je pense que c'était vraiment très bien que l'année sabbatique était faite pour se reposer, mais qu'il ne fallait pas non plus tout couper. Aujourd'hui, j'ai l'impression de ne pas avoir arrêté. Pas du tout! Enfin, je veux dire sur un plan mental parce que j'ai gardé le contact avec les gens, avec la technique. Ce n'était pas toujours facile de venir sur les circuits, il y a même des moments où ça m'emmerdait, mais globalement j'ai bien fait.

C'est plus facile ou plus difficile de négocier un contrat quand on vient de prendre une année sabbatique?
Dix fois plus difficile! Là, ça c'est pas trop mal passé, mais normalement les gens du milieu n'ont pas ce point de repère qu'ils peuvent avoir sur la piste. A la limite, on peut vous oublier en quinze jours...

Vous avez eu, à un moment donné de l'année, cette impression-là?
Non, parce que j'étais toujours en contact avec Frank, Ron Dennis, Briatore, Guy Ligier, avec les gens de Ferrari, Peter Sauber, avec les Américains aussi (Newman-Haas et Penske). J'avais des contacts absolument permanents. C'est vrai que d'un côté, je ne me suis jamais senti abandonné. D'ailleurs, ça motive pour revenir. Je ne serais jamais allé taper au motor-home en demandant s'ils voulaient bien encore de moi. La preuve, c'est que, financièrement, j'aurais eu intérêt à aller courir chez Ligier ou Benetton. Après, j'ai attendu qu'on m'appelle.

L'envie de tout plaquer vous a-t-elle effleuré?
Honnêtement, durant la deuxième quinzaine de septembre, j'ai failli pour de bon. Quand j'ai vu le délire permanent, j'étais quand même en droit de me dire: mais à quoi ça sert de revenir si c'est pour se faire taper sur la gueule à chaque fois. Je préférais encore rester chez moi. Et là, on ne m'aurait jamais plus revu. Même pas une seconde!

Qu'est-ce qui vous a finalement incité à replonger?
La confiance des gens. De Williams, comme de Renault, et sans que je leur demande d'ailleurs. C'est vrai qu'on sentait qu'il y avait un malaise. Moi-même, j'étais peiné pour Frank parce que je connais quand même pas mal le contexte, j'étais peiné aussi pour les gens de Renault qui ne méritaient pas ça l'année où ils sont champions du monde. Je trouve que dans cette histoire, on est allé un peu loin. Vraiment très loin! On entend tellement de trucs qu'on arrive à noircir beaucoup de monde. Sans savoir la vérité. Et c'est vraiment très pénible, pour ne pas dire autre chose... Je ne suis pas prétentieux au point de dire que je connais tout, mais quand on sait ce qui s'est passé en F1 depuis deux ans, je trouve ça quand même très grave. J'en ai pris plein la tête et en plus, je ne peux même pas me justifier. C'est incroyable mais c'est comme ça...

Quelle est l'image que vous vous faites de la Formule 1, avec le recul que vous aviez cette année?
Celle d'un milieu qui a bien besoin de se refaire une santé au niveau médiatique. Tous ceux qui travaillent en F1 pensent un peu trop qu'ils sont au centre du monde, qu'il n'y a rien qui compte autour. Il est là le problème: il n'y a plus d'humilité et les rapports humains se détériorent peu à peu. On ne s'ouvre plus, on ne parle plus et quand on se trouve à l'extérieur, comme ça m'est arrivé cette année, on trouve ça dramatique. Je l'avais déjà souligné il y a quelque temps, mais là c'est de plus en plus criant.

Le remède existe?
Je n'en sais rien. Qu'est-ce qu'il faudrait faire? Quand on voit qu'à Estoril, le record de Mansell est passé pratiquement inaperçu, que la polémique, les histoires de coulisses passent avant le sport, c'est fou non? On est tous assis sur la même branche, et on n'arrête pas de la scier par des petites phrases assassines qui prennent tout de suite une ampleur démesurée. A ce rythme, on va finir par lasser les constructeurs parce que s'ils investissent autant d'argent, ce n'est pas pour qu'on fasse la une des journaux uniquement avec des ragots de paddock. Bien sûr que le côté humain est important mais il faut arrêter cette guéguerre.

Pas facile quand on est journaliste! Vous avez eu l'occasion de vous en apercevoir cette année, non?
C'est vrai que j'étais mal placé pour critiquer ou prendre parti si j'avais voulu le faire parce que, même en prenant ce recul, je restais relativement impliqué. Il fallait donc que je sois neutre mais j'ai toujours essayé de mettre en avant le côté technique et le côté humain, le travail d'une équipe pour montrer que la F1, en réalité, ce ne sont pas seulement des pilotes qui se battent comme des chiffonniers ou qui se chamaillent en conférence de presse. C'est toute la différence entre le reportage et la gazette. On peut faire de la gazette mais il ne faut pas qu'elle prenne le pas sur le reportage. La presse a changé aussi. Elle est davantage tentée d'attirer le grand public par le côté scandales à répétition de la F1.

Et le rôle de la fédération dans tout ça? Comment le jugez-vous?
Pas sérieux. On ne peut pas dire qu'ils montrent l'exemple.

Vous visez particulièrement le président de la FISA, Max Mosley?
Oui. Dans le contexte économique que l'on connaît, son rôle est d'être très prudent. Il faut avoir un maximum de stabilité et un équilibre entre le pouvoir financier et le pouvoir sportif, pour pouvoir attirer le plus possible de constructeurs. Là, il est en train de faire exactement le contraire.

Et cette dérive vous fait peur?
Bien sûr qu'elle me fait peur! Je suis inquiet pour l'avenir. Ce n'est pas comme ça qu'on gère un milieu aussi pointu.

On a l'impression que vous regrettez quelqu'un comme Balestre, qui n'avait pas toujours vos faveurs pourtant...
Oui, je crois qu'un gars comme Balestre manque à la F1. Il représentait le pouvoir sportif, avec ses coups de gueule, ses excès mais au moins, on pouvait parler. Mosley m'a croisé plusieurs fois cette année, il n'est jamais venu me voir alors que j'étais un peu disponible. C'est à peine s'il me disait bonjour…

Et les pilotes, qu'est-ce qu'ils attendent pour s'exprimer?
Alors là, je l'ai toujours dit et je le répète encore aujourd'hui: si on ne les écoute pas, c'est d'abord de leur faute. Quand on fait des réunions pour évoquer des tas de problèmes, il n'y a qu'un tiers qui se déplace. En plus, tant qu'il y aura des dissensions entre pilotes comme aujourd'hui, ça ne pourra pas marcher.

Est-ce que, grâce à votre rôle de consultant, vous avez appris des choses cette année que vous ne saviez pas encore de la F1?
Non, pas franchement. J'ai plus appris sur la télé que sur la F1. Mais pas l'inverse.

Vous avez pris des notes à titre personnel, tout au long de cette année?
Non, ce n'est pas dans mon style. Mais c'est vrai que j'ai eu connaissance de certaines choses dans des équipes que je n'aurais peut-être jamais sues si j'étais resté uniquement pilote. On m'a parlé peut-être un peu plus librement...

Quelle est pour vous la performance de l'année?
Encore une fois, je crois que c'est l'ensemble Williams-Renault-Elf-Mansell. Enfin, je dirai Mansell et Patrese.

Patrese, malgré son manque de victoires?
Oui, parce qu'il a fait énormément de travail sur cette voiture. Patrese pour son abnégation, son travail constant dans l'équipe, en hiver notamment. Mansell pour l'utilisation qu'il en a faite.

Le départ de Mansell pour le Championnat américain IndyCar, vous en pensez quoi?
J'ai un peu de craintes pour lui. C'est dur et c'est dangereux. Je ne pense pas que c'était vraiment son souhait. Il a toujours pris des décisions un peu émotives, un peu hâtives. Il n'a jamais vu ce genre de course en vrai, jamais vu de voiture de ce type, je n'arrive pas à comprendre qu'il ait pu signer un contrat de la sorte. Et puis surtout, le style de pilotage qui est demandé dans cette discipline est à l'opposé du sien, du moins sur les anneaux parce qu'il va, je crois, se balader sur les circuits routiers. Sur le plan sportif, je ne me fais pas de soucis, par contre sur le plan personnel... qu'il ne fasse pas comme Piquet, quand on voit les risques qu'il prend parfois en F1. J'espère me tromper.

Et le bide de l'année?
Pour moi, c'est... (long moment de réflexion). J'hésite entre McLaren et Ferrari. Je pense que c'est les deux, en fait. Ce sont deux équipes qui ont régressé par rapport à l'année dernière. C'est très net. Ce qui n'arrive pas souvent quand même...

La révélation de l'année?
Je dirai Lotus, disons que c'est une petite surprise plus qu'une révélation, et Häkkinen surtout. II va très vite celui-la.

Schumacher?
Ce n'est pas franchement une révélation. Pour moi, c'est une confirmation quand on voit ce qu'il était capable de faire déjà d'entrée l'an dernier. Mais c'est bien ce qu'il a fait. Lui et Benetton. Des révélations, il n'y en a pas beaucoup finalement. Ou du moins, on a du mal à les voir. Moi-même, j'ai eu du mal!

Quel a été le Grand Prix le plus passionnant?
Je me rappelle Hockenheim qui semblait ennuyeux mais qui a été passionnant parce qu'on ne savait pas si Senna allait s'arrêter pour changer de pneus ou pas. Sinon... la Hongrie, aussi.

Ça vous est arrivé de vous ennuyer devant votre écran de contrôle?
Oui, oui... A Monza, notamment. Dans ces cas-là, on se sent gêné. On se dit: tiens, c'est ce que je fais et on comprend subitement pourquoi certaines personnes, qui ne sont pas des passionnes, trouvent que c'est chiant la Formule 1. Mais que faire?

Y-a-t-il des gens qui vous ont conseillé de ne pas reprendre la compétition après cet arrêt?
Oui, ceux qui m'ont dit que j'avais rajeuni de dix ans cette année. Que j'étais beaucoup mieux qu'avant...

Vous avez eu cette impression de rajeunir?
Oui, vraiment. Et je me demandais d'ailleurs en reconduisant si j'allais revieillir subitement de dix ans, mais ça va. J'ai un fond de physique et puis la suspension active, c'est beaucoup plus confortable.

Depuis quand ça vous démange vraiment de recourir?
Depuis le mois de juillet. Disons juillet, août. En fait, je voulais trouver un accord le plus tôt possible pour pouvoir rouler le plus vite possible. Signer à la fin de l'année, faire des essais en janvier et attaquer la prochaine saison en février, je ne sais pas si je l'aurais accepté.

Vous vous êtes remis facilement au travail, aussi bien physiquement que psychologiquement?
Oui, sans trop de problèmes. Mais il y a une grosse différence, vous savez, entre le côté physique et le côté musculaire. A Estoril, j'ai vraiment souffert des muscles du cou, mais au Ricard, ça allait déjà mieux. Par rapport aux sept mois d'inactivité, c'est au delà de toute espérance. Physiquement j'étais bien entraîne, bien préparé. Ceci dit, je n'étais pas bien installé encore. J'ai une position un peu trop basse dans la voiture, je ne vois pas très bien. Sinon psychologiquement... quelque part, c'était un peu lié aux problèmes physiques parce que je me disais que si ça ne marchait pas très bien, si j'avais eu des problèmes au bout de quatre ou cinq tours, ça aurait pu avoir des répercutions, mais bon, là ce n'est pas le cas. Tout va bien. Il fallait franchir ce premier cap.

La Williams FW 14 et FW 15 vous permettent de rentrer encore un peu plus dans le domaine de l'électronique. Au bout de ces deux semaines d'essais avez-vous déjà situé toutes les possibilités du champ d'exploration et d'exploitation?
Le but de ces deux séances d'essais, c'était justement ça: explorer et exploiter au maximum les possibilités de la voiture dans ce domaine. Commencer à rentrer dans le vif du sujet pour pouvoir la régler. On ne raisonne plus du tout comme avant avec les ressorts, les barres et même les appuis. Tout est lié à un programme que l'on établit, ou plutôt que l'on veut établir avant. Et c'est compliqué! Mais c'est aussi ce qui me fascine le plus: c'est de repousser toujours, au maximum, non seulement les limites de la technique, de la technologie mais de pouvoir explorer beaucoup plus cet aspect nouveau qu'est l'électronique. On ne s'en ait jamais servi à ce point, en tout cas jamais de cette manière. On la touchait de près mais là on est carrément dedans. Le pilote travaille avec son ingénieur mais aussi avec l'électronicien pour adapter les différents programmes. Donc il faut impérativement que le pilote comprenne ça pour pouvoir dorénavant faire la différence... surtout si toutes les voitures viennent à s'équiper de la sorte! En tout cas, c'est très motivant. Mais c'est presque un peu frustrant au début, aussi. Quand on rencontre un problème sur la voiture on se dit parfois: "merde, si j'avais une voiture passive, je ferais ça, ça ou ça". Là, c'est nettement moins facile.

On peut dorénavant parler de "pilote-informaticien"?
Non, parce qu'il faut vraiment dissocier les deux. C'est valable aussi quand on dit d'un pilote qu'il connaît bien la mécanique. On peut avoir des connaissances sur un moteur sans être pour autant capable de le démonter ou de le remonter. Là, c'est pareil. Pour devenir, comme vous dites, pilote-informaticien, il faudrait pour cela pouvoir pianoter sur l'ordinateur et faire des programmes soi-même. Même si ça m'arrive de temps en temps de pianoter pour regarder les enregistrements, mais c'est différent.

Face à ce déferlement de l'asservissement électronique, où se situe la part du pilotage? Est-elle réellement encore prépondérante?
Je crois que c'est une sorte de... j'allais dire de faux-procès, mais ce n'est pas non plus le terme exact. En fait, on a déjà dit ça à l'époque des wing-cars, du turbo, et maintenant avec l'électronique mais la voiture, il faut bien la conduire! Mais c'est vrai aussi que, dorénavant, un pilote de Formule 1 ne peut plus se contenter d'être pilote à 100 %, il a un rôle-clé à jouer au sein même de l'équipe technique. Les bons, de toutes façons, feront toujours la différence mais on ne peut plus monter dans la voiture, aller boire un coup et attendre qu'elle soit prête. Il faut bosser énormément. En plus, il y a deux éléments nouveaux à prendre en compte, à mon avis, l'an prochain et pour les années à venir, c'est la nouvelle réglementation des essais privés, qui seront limités sur les circuits réservés aux Grands Prix, et des essais libres, qui seront limités dans le temps puisqu'on va perdre une demi-heure par séance. Il va falloir bosser vite et bien!

Quelle est, pour vous, la plus grosse surprise de ces deux semaines d'essais?
Le fait d'être déjà aussi bien intégré dans l'équipe. C'est plus qu'une surprise, c'est un point vraiment positif. Williams a la réputation de ne pas être une équipe facile, chaleureuse. Patrick Head a aussi la réputation d'être quelqu'un de bourru, de renfermé, en fait ils sont tellement professionnels qu'ils apparaissent ainsi à l'extérieur. Mais une fois dedans, c'est vraiment très sympa de bosser avec eux. Bon, c'est vrai que c'est aussi une question d'habitude. A Estoril, par exemple, ils n'osaient pas tout me dire encore, comme si j'étais encore un adversaire pour eux. On vit un peu une situation exceptionnelle, la saison n'est pas tout à fait terminée mais il nous reste encore quatre mois avant le premier Grand Prix pour nous roder. Et quand je vois déjà l'évolution entre Estoril et le Castellet, je ne me fais aucun souci.

La perspective d'atteindre 50 victoires en Grands Prix, ça vous excite? Ça vous obsède, même?
Il n'y a aucune statistique qui m'obsède. A une époque, ça m'a non pas obsédé, mais du moins intéressé. Plus maintenant. Et quand on se met en retrait comme je l'ai fait cette année, on prend un peu plus conscience de la légèreté de ces chiffres. Quand on voit qu'un événement aussi fort que la destruction du mur de Berlin est déjà presque oubliée, que j'obtienne 44 victoires, 49 ou 50, ça ne changera pas grand-chose. Ce qui m'importe c'est de me faire plaisir. Si je peux gagner avec Williams et notamment Renault, la boucle sera bouclée, tant mieux. Mais pour le reste...

Vous avez signé pour deux ans et dans deux ans, justement, vous aurez pratiquement quarante ans. Ce cap influera alors dans votre décision de continuer ou d'arrêter définitivement?
Oui, bien sûr. Pour l'instant, ça ne joue pas mais je sais que ça jouera.




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