LE FIGARO, 07.03.1998

Alain Prost:
"La victoire, j'en fais mon affaire"


Propos recueillis à Melboune par Cédric Voisard

Un an déjà, un an après, Alain Prost n'a pas changé. Toujours la même détermination, la même efficacité et la même recherche de la perfection. De ces premiers douze mois comme patron d'écurie, le quadruple champion du monde a beaucoup appris. Il n'a eu de cesse de construire son équipe et d'en améliorer le fonctionnement. Cette fois, il aborde la saison 98 avec "ses" voitures et un nouveau partenaire moteur Peugeot. S'il ne nourrit pas de réels espoirs pour le Grand Prix d'ouverture en Australie, demain matin (4 heures), il veut des progrès et pourquoi pas une victoire en cours de saison. Rencontre avec ce bonhomme vraiment pas comme les autres.

Dans quelles dispositions abordez-vous cette première course de l'année?
Un peu inquiet et dans l'expectative. Je ne suis pas entièrement satisfait de notre degré de préparation. Nous sommes malheureusement en retard par rapport à nôtre programme de montée, en puissance initial. Le fait de gros problèmes rencontrés avec notre nouvelle boîte de vitesses qui nous ont empêchés de rouler autant que nous le souhaitions. Avec seulement trois mille kilomètres d'essais, Olivier Panis et surtout Jarno Trulli n'ont pas pu travailler à fond sur la voiture. Dans le même temps, il a fallu revoir l'organisation de réquipe et préparer son déménagement de Magny-Cours à Guyancourt. Pas simple.

Une crise de croissance comme un passage obligé...
Oui. Nos difficultés ne me surprennent pas. Je savais que nous allions souffrir entre la mi-janvier et la fin du mois de mars. Parce que l'équipe est rapidement passée de soixante-dix à cent cinquante personnes, parce qu'elles ont dû apprendre à tra-vailler ensemble et en harmonie avec Peugeot-Sport tout en disposant d'un outil, l'usine de Magny-Cours, totalement dépassé. On ne peut pas reconstruire une écurie du jour au lendemain.

Voilà un an, vous faisiez vos débuts au bord de ce circuit de Melbourne en tant que patron d'écurie. Considérez-vous cependant que cette saison marque le vrai départ de votre équipe?
Peut-être, dans la mesure où nous concrétisons notre partenariat avec Peugeot et que nous mettons une nouvejle structure en place. Mais parler de vrai départ, de second départ, d'année de transition... c'est du vent. Je ne prends en compte que les résultats, à savoir que j'ai déjà fait du chemin en opérant quelques changements radicaux au sein de l'équipe, mais que la route est encore longue pour en faire l'une des meilleures du monde.

A partir de quand Prost Grand Prix sera-t-elle opérationnelle dans ses nouveaux murs?
D'ici la fin du mois.

Parallèlement à ces problèmes de réorganisation, le nouveau règlement technique régissant le championnat n'a pas dû vous faciliter la tâche...
Pour nous, il ne pouvait pas tomber plus mal. Lorsqu'il a été annoncé, personne n'a mesuré à quel point les voitures allaient s'en trouver métamorphosées. Une révolution philosophique sur tous les points: aérodynamique, mécanique, moteur, pneus. Les monoplaces 1998 n'ont plus rien à voir avec celles de l'an passé. Cela dit, je crois en notre voiture.

Justement, espérez-vous de cette AP 01 un meilleur début de saison que celui réalisé l'an dernier par la JS 45?
L'année dernière, en arrivant ici, nous pensions créer la surprise d'entrée grâce aux pneus Bridgestone. Finalement, ils n'ont pas été si déterminants. Cette fois, j'ai quelques inquiétudes concernant la fiabilité de la voiture. En revanche, je pense qu'elle est performante. Le point positif, c'est que le nouveau règlement rend la fiabilité plus accessible que la performance. Nos deux marges de progression sont encore importantes.

Les écuries ne sont-elles pas finalement toutes dans le doute avant cette première course?
Vraisemblablement. Mais pour moi, la voiture à battre pour le titre mondial sera une McLaren.

Est-ce parce que les monoplaces de Ron Dennis sont désormais chaussées de pneus Bridgestone?
Pas seulement. Avec Mercedes, McLaren devrait toucher cette saison les dividendes d'un cycle de travail. Williams et Ferrari seront là aussi. La première me semble un peu en retrait, mais possède l'expérience des premiers rôles, la seconde est un point d'interrogation: je trouve incroyable que les Italiens n'aient pas roulé une seule fois sur les circuits pratiqués par leurs concurrents... Enfin il y a Benetton, que l'on a peut-être enterrée un peu vite.

Et Prost-Peugeot?
Construire et être performants le plus tôt possible, à savoir en fin de saison ou début 1999. Nous devons viser une place dans les cinq premiers, l'objectif étant de détrôner l'une des quatre écuries dont je viens de parler. Parce que cinquième, cela signifierait lutter contre Jordan et Sauber. Honnêtement, j'espère bien que nous serons loin devant ces deux écuries.

Pour ce faire, vous avez également effectué un recrutement de valeur. Alain Prost délègue-t-il facilement?
Sans problème à partir du moment ou les gens sont compétents. Ainsi Bernard Dudot et Jacky Eeckelaert sont devenus incontournables. Nous allons d'ailleurs nous réunir au retour d'Australie pour réfléchir sur des projets à moyen et long terme car nous devons encore nous renforcer. Et puis il y a quelques jeunes ingénieurs sans expérience F 1 que nous devons former. Leur présence est toutefois essentielle. Il faut savoir s'ouvrir à une certaine fraîcheur pour pouvoir évoluer dans un tel monde de technologie. La vraie réussite d'une équipe, c'est d'assurer la compétitivité dans la pérénité.

Quels sont les plaisirs du patron Alain Prost?
Bâtir un projet ambitieux. Mais vous savez, pour un battant, le vrai plaisir, c'est de gagner. Actuellement, je manque encore de recul parce qu'à l'instar de tous les membres de l'écurie, j'ai la tête dans le guidon. Mais notre satisfaction n'en sera que plus grande lorsque nous enregistrerons de bons résultats.

Le défi que vous vivez est-il fidèle à celui que vous pouviez imaginer?
Non. C'est bien plus difficile. Difficile de faire travailler les gens ensemble, de faire évoluer les mentalités et l'image de l'entreprise.

L'image?
Oui. Depuis un an je fais en sorte que l'écurie perde son côté franchouillard. Cela ne peut convenir à une équipe ambitieuse dont les partenaires financiers sont des entreprises à vocation internationale.

A ce propos, comment vous y prenez-vous pour convaincre vos sponsors, Jouez-vous de votre passé de pilote?
Non. Mais le souvenir, l'image de'l'ancien champion jouent énormément. Pourquoi m'en cacher: c'est un gage de crédibilité et de notoriété qui a su attirer tes partenaires qui nous permettent de compter sur un budget d'environ trois cents millions de francs. Maintenant, il i y a une similitude entre le pilote de pointe et le patron d'écurie. Pilote, je représentais le dernier maillon d'une chaîne, je concrétisais les investissements. Patron, je suis devenu le premier maillon de cette chaîne. En cas d'erreur, la responsabilité est un peu la même pour les deux, mais le patron en est peut-être beaucoup plus conscient que le pilote!

Ressentez-vous une quelconque pression de la part de vos partenaires? Sont-ils impatients de gagner?
De manière générale, les sponsors des écuries de formule 1 le sont plus que par le passé. Mais les entreprises qui nous soutiennent ne se contentent pas de payer pour poser un autocollant sur la voiture et attendre les résultats. Nous montons conjointement de nombreuses opérations de relations publiques afin qu'ils puissent déjà profiter de leur engagement en formule 1. Pour ce qui est de la victoire, j'en fais mon affaire. C'est mon challenge personnel. Je ferais absolument tout pour y arriver.

Vous vous donnez totalement à votre écurie alors que la formule 1 est menacée par les lois européennes en matière de libre concurrence et d'interdiction du parrainage par les cigarettiers. Des inquiétudes?
Pour le premier point, c'est un problème commercial qui regarde essentiellement Max Mosley et Bernie Ecclestone...

Vous pourriez toutefois en subir les conséquences!
Attendons que la commission européenne fasse son travail. Pour ce qui est du tabac, c'est un problème de stratégie. On parle actuellement de Grands Prix en Chine, aux Etats-Unis, et pourquoi pas en Malaisie et en Corée. Si cela se fait à court terme, la formule 1 sera réellement planétaire, s'ouvrira à de nouveaux marchés et trouvera des budgets de substitution. Je ne suis pas réellement inquiet.

Pour en revenir à un sujet plus concret, il paraît que vous allez prendre le volant de votre voiture...
Ce n'est pas impossible en effet. Mais il ne faudrait pas que cela devienne une actualité. Ce serait juste un petit plus pour comprendre cette nouvelle monoplace et mieux dialoguer avec Olivier et Jarno. Quelques tours suffiraient. D'ailleurs, je peux le faire sans que personne ne le sache...

Propos recueillis à Melbourne par Cédric Voisard



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