AUTO HEBDO, 21.04.1999

ALAIN PROST: Un bon point pour le moral


PATRICK CAMUS

Les bleus sont sortis de la spirale infernale. Désormais, le but consistera à jouer avec les meilleurs de ceux qui, techniquement ne sont pas encore sortis du deuxième millénaire. Après l'année de la construction, saison de transition? Chut, le patron a horreur de ce mot!

Dernier point d'une Prost-Peugeot? Grand Prix de Belgique 98. La course de l'enfer dont tout pilote pouvait attendre une petite récompense pour peu qu'il en franchisse la ligne d'arrivée. Ce dernier point fut aussi le seul et unique de la saison 98... Pas brillant. Inutile d'y revenir, la AP01 a définitivement rejoint la galerie des réussites à l'envers. Place à la AP02.

Son premier Grand Prix 99 ne fut pas davantage d'une grande clarté. Certes, elle sortait d'une ultime séance d'essais privés catalane avec les honneurs mais le douzième temps de qualifs de Trulli et le vingtième de Panis avaient quelque chose de dérangeant. Aux difficultés d'ordre technique auxquelles durent faire face les deux pilotes s'ajoutait un malaise particulier dont semblait être victime Olivier Panis. Cinq semaines et pas mal de jours de travail en privé plus tard, le courant s'inversait. Même si les résultats du Grand Prix du Brésil ne le traduisaient pas pleinement, la AP02 venait de dévoiler ses vraies batteries et le Grenoblois une motivation retrouvée. Après ces deux premières épreuves d'évaluation Alain Prost fait le point.

A quoi attribuez-vous le fait d'avoir "pataugé" en Australie avant que Trulli ne parvienne à mieux exploiter sa machine en course?
Quelques petits problèmes de gestion de boîte, difficulté d'exploiter au mieux les pneus souples, température de fonctionnement moteur un peu trop élevée, anormalement élevée. Ces difficultés nous ont confortés dans l'idée que nous avions avant d'affronter cette première épreuve. Il faut être très pointu dans les réglages, très vigilant dans l'exploitation des pneus.

Cette température élevée est-elle d'origine aérodynamique ou mécanique?
L'aérodynamique n'explique pas tout. Il s'agissait en fait d'un accroissement du rayonnement des échappements, dont la paroi a été amincie entre 1998 et 99, comme un tribut payé à l'allégement.

On remarque que certaines écuries ex-Goodyear se sortent plutôt bien de leur passage en Bridgestone. Est-ce que l'arrivée d'une quatrième rainure à l'avant et d'une gomme plus dure annulerait le privilège d'avoir collaboré précédemment avec le manufacturier japonais?
Difficile de juger. Nous sommes effectivement avec Bridgestone depuis deux ans et même si la situation a quelque peu changé, un pneu possède toujours un caractère qui lui est propre. En 98 on a vu que Goodyear et Bridgestone travaillent très différemment selon les circuits et le revêtement. Un pneu peut rester constant, un autre se dégrader puis se stabiliser, un autre se dégrader tout le temps, un autre s'améliorer et se stabiliser... L'avantage d'avoir travaillé avec Bridgestone doit exister, c'est sûr. Il peut être plus grand pour un top-team qui a collaboré plus étroitement au développement. Nous disposons de leurs informations et de leurs références, qui nous permettent en particulier de faire des simulations de centrage des masses, mais je n'ai pas l'impression que ce soit un élément déterminant. A Melbourne, l'utilisation d'un même pneu variait d'une voiture à l'autre, d'un pilote à l'autre! Et aussi parce que l'on manquait d'informations quant au comportement de notre voiture en conditions ambiantes changeantes. Melbourne est un circuit très spécial. On ne peut pas tirer de conclusion sur les performances que l'on y réalise.

Certes, il n'empêche que vous aviez quitté Barcelone en signant la pole position hivernale!
Oui, après y avoir passé des semaines et balayé tous les réglages possibles et imaginables! A Magny-Cours aussi. Mais le manque d'expérience de la voiture en d'autres circonstances et d'un historique technique précis sur d'autres circuits, notamment sur ce genre de piste où les conditions d'adhérence évoluent sans cesse à cause du revêtement ou de la météo changeante, nous handicapaient. Le programme de développement que nous avions prévu après l'Australie, aussi bien en châssis, en aérodynamique qu'en moteur, allait forcément nous apporter un plus dès le Grand Prix du Brésil, en performance comme en fiabilité. Ces cinq semaines de coupure tombaient très bien pour nous.

Grand Prix du Brésil. Vous y arrivez avec un refroidissement amélioré, de nouveaux amortisseurs et de nouveaux réglages. Les qualifications ne se déroulent guère mieux qu'en Australie. Où est le mal?
D'abord nous payons la coupure des essais libres du matin à cause de l'accident de Zonta, qui nous a valu de ne pas pouvoir les réglages spécifiques aux qualifications. Jarno et Olivier ont pris la piste avec un set-up encore jamais tenté! Ensuite nous sommes lents, très lents en ligne droite, sans vraiment comprendre pourquoi. Cet incident, qui coûte forcément cher en temps au tour, nous est déjà arrivé en essai privé une fois ou deux mais là ce fut vraiment impressionnant. Peut-être un problème de bourrage aérodynamique dans la boîte à air du moteur? Nous pousserons l'investigation en collaborant entre gens du châssis et motoristes. La voiture valait de toute évidence mieux que les douzième et treizième positions de grille.

Donc vous êtes globalement rassuré avec ce petit point de la sixième place de Panis!
Disons que la course nous a apporté la réponse que nous attendions. La AP02 est une machine compétitive. Nos deux pilotes l'ont confirmé. C'est l'un des deux points positifs de ce Grand Prix du Brésil. Un petit point, d'accord, mais qui fait du bien au moral de tous et qui encourage. Dommage qu'un petit incident de boîte soit venu perturber la course de Jarno. La seule alerte en trois jours. Nous ne sommes pas loin du compte pour ce qui concerne la fiabilité. Tout devrait être réglé pour Imola. Certes, nous n'avons encore pas atteint le niveau des meilleurs, McLaren et Ferrari sont encore loin devant, il n'empêche que nous sommes totalement intégrés dans le peloton de chasse. En revanche nos qualifications ne sont pas brillantes... Ça pose problème car pour seulement quelques dixièmes nous perdons vite plusieurs places de grille. C'est se condamner à ne pas se battre à la régulière pour une bonne place, voire un podium. On méritait peut-être plus qu'un point mais ne soyons pas trop exigeants. Compte tenu du pourcentage d'abandons sur ces deux premières courses, ne nous plaignons pas!

Comment voyez-vous la saison 99 après ces deux premières épreuves?
Un peu à l'image de ce Grand Prix du Brésil. Derrière les McLaren et Ferrari nous retrouvons un gros peloton dans lequel la concurrence va être terrible et où tout est possible. L'objectif que nous nous sommes fixé est d'en faire partie du bon côté: c'est réaliste. L'hypothèse ambitieuse étant la troisième place. Nous risquons également de voir pas mal de machines capables de franchir facilement la limite fiabilité-performance. Rallier l'arrivée sera une grande chance. A nous d'en profiter. Sinon aucune surprise.

De quel second point positif parliez-vous au sujet de ce Grand Prix du Brésil?
Du week-end parfait d'Olivier. C'est de bon augure pour la suite, il le sait lui-même. Sa performance d'Australie n'avait pas été très bonne, il manquait de confiance dans sa voiture et, contrairement à Jarno, il n'était jamais parvenu à tirer un bon parti d'elle et de ses pneus Peut-être pour avoir pris une option différente dans ses réglages. La sentence avait été lourde. Nous avions eu peur.

Peur de quoi?
Il existe une spirale de la défaite comme il existe une spirale de réussite. On a eu peur car notre équipe a vraiment besoin de deux pilotes qui travaillent en totale osmose et à un même niveau de performance.

Avez-vous craint une gamberge résultant de son accident, de l'intervention chirurgicale de l'hiver dernier?
Non, je ne crois pas que le problème se situait là. Quand il est revenu après son accident on a tous vu qu'il n'avait rien perdu de sa performance. Au contraire il s'est parfois montré plus rapide après qu'avant. Olivier n'avait pas suffisamment tourné avec la AP02, c'est lui qui a accumulé le quasi-totalité des petits problèmes techniques que nous avons connus... Il ne me disait pas qu'il ne se sentait pas bien mais plutôt qu'il ne parvenait pas à bien exploiter le potentiel de la voiture dans les conditions actuelles. Ça tournait en rond. A Melbourne il a choisi des réglages différents: la sanction a été là. Du coup, il n'était pas dans son assiette. A Sao Paulo il s'est retrouvé sur une piste plus technique et exigeante, lui convenant mieux, avec une voiture qu'il connaissait également mieux. Sa remotivation a été instantanée. On a retrouvé le Panis que l'on a connu et que l'on aimerait avoir sur tous les Grands Prix! Bon, on a tous nos baisses de régime de temps en temps, souvent dues à des problèmes psychologiques. J'espère pour lui et pour nous que c'est de l'histoire ancienne et qu'il nous offrira sa meilleure saison cette année!

Au-delà du duel McLaren-Ferrari, la performance des Stewart ne vous a-t-elle pas impressionné?
Avant d'arriver au Brésil je les donnais derrière les McLaren et devant les Ferrari! Pas que je sois devin mais c'est logique. Les choses ont beaucoup évolué depuis 98. Avant on parlait beaucoup pneus et aérodynamique. Aujourd'hui on parle plus de poids, ce centre de gravité, d'intégration, de légèreté et d'utilisation moteur. Le binôme châssis-moteur de la Stewart-Ford est exceptionnel. Ce sera le cas sur beaucoup de circuits. Reste l'aspect fiabilité sur lequel elle doit encore travailler. C'est également ce vers quoi nous devons absolument nous orienter l'année prochaine, lorsque nous disposerons de ce binôme.

La parallèle Stewart-Prost, deux ex-pilotes, deux ex-champions du monde aujourd'hui patrons ne manquera pas d'intéresser les observateurs...
Les comparaisons sont toujours délicates à établir. Ce que Jackie et Paul ont fait est formidable. Ils sont partis de moins loin que nous, avec une écurie de F3000 sur laquelle ils ont formé une bonne équipe de F1 qui s'est stabilisée avant la nôtre. Nous, fin 97, nous étions encore avec soixante-cinq personnes puis nous avons grossi très rapidement. Ils ont pu atteindre un bon niveau plus rapidement que nous. Bon, nous sommes sur la bonne voie et lorsque nous disposerons de tous les ingrédients nous devrions être mieux qu'eux.

A quels ingrédients faites-vous allusion?
Un moteur de nouvelle génération et pas mal de nouvelles technologies encore dans nos cartons pour l'instant. Cela passe évidemment par une stabilisation de l'écurie et de la performance de la voiture cette saison.

Nous voici déjà avec un pied en l'an 2000!
Par la force des choses! Soyons honnêtes, ce n'est pas d'ici les trois ou quatre prochaines courses que nous aurons comblé nos lacunes et rattrapé les meilleurs, même si nos huit ou dix derniers mois de gros travail se révèlent payants. C'est l'année prochaine que nous récolterons pleinement le fruit de nos efforts et de nos investissements.



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