PGPLC LE JOURNAL, 01.05.2000

Alain Prost. Entre deux Grands Prix, un entretien exclusif.



Une semaine après Silverstone, Alain Prost nous reçoit dans son bureau feutré de Guyancourt. Il est 9 h 30, il pleut, on distingue à peine les bruits de l'usine où pourtant tout le monde travaille à la préparation du Grand Prix d'Espagne. L'équipe d'essais vient d'ailleurs de rentrer de Barcelone où elle a passé 3 jours. Le "patron" semble serein; il nous invite à nous asseoir, les fauteuils de cuir beige sont confortables... en route pour une demi-heure d'entretien!

La saison 2000 est maintenant bien entamée, c'est la deuxième pour le Club des supporters, quel est votre sentiment vis-à-vis de Prost Grand Prix Le Club?
Tout d'abord un sentiment de fierté en voyant le nombre de gens qui supportent l'écurie, malgré des résultats qui sont en dessous de ce que nous pouvions légitimement attendre. Même si le nombre de supporters n'est qu'un des éléments à prendre en compte, le fait que vous soyez un peu plus de 13 000 aujourd'hui me fait très plaisir, surtout si je compare avec d'autres clubs existant dans d'autres disciplines comme le football par exemple. Ce que je voudrais saluer aussi, c'est la compréhension des supporters qui continuent de nous épauler dans les phases difficiles que nous traversons. Tout le monde sait que la F1 est une discipline de plus en plus complexe, que les résultats ne s'obtiennent pas sur le court terme, et qu'il faut beaucoup de patience... bien que la patience ne soit pas la vertu la plus facile à partager aujourd'hui!

Quel est à votre avis l'esprit qui doit animer Prost Grand Prix Le Club?
La passion est le vrai "moteur" de tout supporter, peut-être plus encore dans notre discipline, car l'engouement pour la F1 est à la fois physique et mental. Difficile de demander plus d'implication aux membres du Club car ce qu'ils font, ce qu'ils donnent, est déjà très important. On les sent de plus en plus présents autour des circuits, et c'est sans doute là qu'ils nous aident le plus. Le soutien moral est primordial, pas seulement pour les pilotes qui ont besoin de sentir qu'ils ne sont pas seuls, mais aussi pour toute l'équipe; les mécaniciens ne le montrent pas, mais ils sont très sensibles à la présence de nombreux supporters de l'écurie. On l'a bien vu à Magny-Cours au mois de septembre dernier, et je sais que pour le prochain Grand Prix de France, plus d'un millier de membres du Club vont faire le déplacement dans la Nièvre... Je trouve cela très encourageant. De même, pour ceux de l'écurie qui ne se déplacent pas sur les courses (le bureau d'études, les services administratifs, la production) mais qui ressentent également beaucoup de pression au quotidien, la chaleur du Club est très importante pour garder intactes la motivation et l'énergie.

Justement, sans vouloir revenir sur le passé, vous attendiez-vous à une telle passion avant de rencontrer les 3 600 supporters lors de la Convention de septembre dernier?
Pas vraiment! C'est une chose de savoir que vous avez plusieurs milliers de supporters, et c'en est une autre que d'entrer dans une salle où 3 600 personnes vous attendent! Passé le premier moment de surprise, j'ai été partagé entre satisfaction et frustration. Satisfaction de voir que nos efforts étaient suivis et compris; frustration de ne pouvoir donner plus à des gens dont le souci numéro 1 est de nous aider; car que faire de plus? Quand j'étais jeune, à St Etienne, j'allais souvent voir les joueurs de l'ASSE s'entraîner. C'était facile, il suffisait d'aller au stade, c'était gratuit, il m'est même arrivé d'échanger quelques balles avec les champions de l'époque... Imagine- t-on pareille chose en F1? Impossible! Nous vivons un peu comme dans une cage où tout est étiqueté, réglementé. Les pilotes eux-mêmes sont difficilement visibles! Dans leurs voitures, ils sont cagoulés, casqués; les stands sont barricadés, on ne peut pas approcher le Paddock... mais c'est comme ça. Je me mets à la place des supporters, il faut beaucoup de passion pour endurer tout ça. La Convention a eu ce mérite de leur permettre de s'approcher un peu plus de nous, des voitures, des motorhomes, et pour moi de les rencontrer. Je recommencerai bien volontiers cette année; j'essaie de préserver un peu de mon temps pour les supporters et pour le Club, de me tenir informé de leurs attentes qui vont parfois au-delà de ce que nous pouvons donner. Nous nous y employons et essayons de toujours donner notre maximum.

Mais vous, avez-vous déjà été membre d'un Club de supporters?
Non, jamais. Quand j'étais à St Etienne et que je suivais l'équipe de foot, je crois qu'il n'existait pas de club vraiment formalisé. Maintenant tout est plus structuré, mais la démarche qui conduit à être supporter n'a pas fondamentalement changé. Quand on est supporter, on est là plus pour aider que pour recevoir, même si on aime bien bénéficier d'une sorte de statut ou d'une forme de reconnaissance.

Est-ce qu'il y a des pilotes que vous admiriez dans votre jeunesse?
Oui, j'aimais bien Stewart, c'était un peu mon idole. Je suivais aussi avec attention Lauda, Rindt, Peterson. En fait, les gens que vous admirez correspondent à une époque, et l'on était en pleine époque Stewart...

...Et que pensez-vous de ce qu'a réalisé Stewart avec son écurie de F1? N'a-t-il pas réussi à insuffler un état d'esprit très "famille" dans son team?
C'est sans doute l'apparence que cela donne du fait que les principaux managers étaient le père et le fils; il y avait aussi le côté clan écossais, mais il ne faut pas se leurrer, une équipe fonctionne avant tout grâce à la puissance de travail, aux priorités données, à la justesse des choix. Le reste, c'est du "plus", qui a son importance bien sûr, mais ça s'arrête là.

Si vous deviez vous adresser à chacun des membres du Club, quel message souhaiteriez-vous leur faire passer?
Au risque de me répéter, leur dire d'être présents... Une image m'a particulièrement frappée quand j'étais pilote, c'était l'omniprésence des supporters Ferrari. Au Grand Prix du Mexique, en 1990, ils étaient partout, alors que nous courions loin de l'Italie. J'avais l'impression d'être "porté" par leurs acclamations, leurs drapeaux, leurs banderoles... On sous-estime souvent la force d'encouragement que peuvent déployer les supporters... Soyez présents, montrez-vous, faites sentir que vous êtes avec nous!

Vous nous dites à nouveau que les pilotes ont besoin des supporters, mais est-ce que vos pilotes, eux, ont un rôle à jouer vis-à-vis des supporters?
Très certainement. D'ailleurs, Jean est sans doute le 1er supporter de l'écurie! Il en a l'âme et je suis très content de ce qu'il apporte au team! Il se bagarre tous les jours pour nous faire progresser. Pour Nick, c'est plus difficile car il vient d'arriver, personne ne le connaît vraiment... Vous savez, ce n'est pas évident de demander beaucoup aux pilotes quand ceux-ci restent 1 ou 2 ans dans une écurie. Ils sont très sollicités et ont beaucoup de travail à accomplir. D'un autre côté, les fans s'intéressent prioritairement aux pilotes, il y a donc un savant équilibre à trouver.

Comment voyez-vous le futur de l'écurie? Est-ce que Prost Grand Prix a vocation à s'intéresser à d'autres disciplines automobiles?
On ne peut pas régresser. La Formule 1 est la discipline reine; seules 12 équipes sont habilitées à disputer le Championnat du Monde, j'imagine mal que nous puissions tout d'un coup courir en Sport Prototype, par exemple. Pour réussir en F1, je le dis souvent, il ne faut penser qu'à ça. Pas question de se disperser, on ne peut pas se le permettre. On en a l'exemple avec la F3000, qui finalement nous apporte peu; aujourd'hui, nous devons plus que jamais nous concentrer sur notre objectif, progresser en Fl. Un jour peut-être, l'usine sera amenée à étudier autre chose, mais nous ne sortirons pas de la haute technologie et il y aura toujours un lien avec la F1.

Ne seriez-vous pas tenté par une démarche du type Alpine, construire des voitures très sportives?
C'est vrai, certains m'en ont prêté l'intention, à juste titre d'ailleurs, car j'y ai pensé et j'y repense parfois. Mais cela ne s'improvise pas; c'est un projet industriel à part entière qui ne peut se concevoir qu'avec l'aide d'un grand constructeur. Un jour peut-être... Pour l'instant je suis occupé à 110 % par la Formule 1 et je ne dévierai pas!

Changeons de sujet, quel regard portez-vous sur le sport automobile français de haut niveau?
Réaliste et pas très optimiste. Effectivement, il n'y a qu'un seul pilote français en F1, alors qu'il y en eut jusqu'à 8, il n'y a pas si longtemps que ça. Les années 80 étaient beaucoup plus dynamiques, les formules de promotion étaient de vraies formules, avec une stratégie tournée vers le plus haut niveau. J'en profite pour rendre hommage à un homme qui était au cœur de ce système à succès: François Guiter, le créateur de la filière Elf. Depuis, personne ne l'a remplacé. Bien sûr il existe encore de nombreuses possibilités de se former et d'avancer; ce qui manque, c'est une vision stratégique qui aboutisse à la F1. Remarquez, ce que je dis là s'applique dans nombre de secteurs en France...

Mais ne vous sentez-vous pas investi d'une mission de découvreur ou d'accoucheur de nouveaux talents?
Il ne faut pas tout confondre... J'ai avant tout monté mon écurie pour gagner, et mes partenaires me suivent dans cette direction. Les investissements consentis sont très lourds et je ne peux me permettre aucun faux pas, ni moi, ni les 250 personnes qui travaillent à l'usine. Je vous rappelle par ailleurs que nous accordons notre confiance à Stéphane Sarrazin et Sébastien Bourdais, et que j'ai personnellement permis à Sarrazin de piloter en Grand Prix la saison dernière. Je vous rappellerai également ce que nous a coûté en 1997, l'essai et la sortie de piste d'un jeune pilote français à Magny-Cours: 1 million de francs. Ça fait cher l'essai! Nous ne sommes pas une formule de promotion, personne ne nous demande de l'être et surtout pas nos sponsors! On peut peut-être le déplorer mais c'est comme ça!

Il y a néanmoins beaucoup de pilotes français talentueux en rallye et sport proto, alors pourquoi pas un Button, Heidfeld, Trulli français?
Ce sont des talents exceptionnels qui ont eu en plus la chance d'être au bon endroit au bon moment. Heidfeld a été aidé par Mercedes parce qu'il avait tout gagné avant; Button n'a été aidé par personne, mais il a été repéré au bon moment; Trulli avait déjà un palmarès impressionnant. Il existe un certain nombre de pilotes français qui sont passés très près; certains ont été supplantés par d'autres qui apportaient un budget; certains n'avaient peut-être pas assez la "rage", et puis la Formule 1 reste un milieu très anglo-saxon où les français ont plus de mal à se faire une place que d'autres - je ne dis pas cela uniquement pour les pilotes. On dit aussi que l'argent compte beaucoup; c'est vrai, mais pas plus qu'à mon époque et un garçon comme Button est arrivé sans argent. Non, la vérité c'est qu'il faut un talent de pilote exceptionnel, un vrai caractère, un équilibre parfait et de multiples qualités, pas uniquement sportives.

Comment faire pour gagner en F1 aujourd'hui?
Vaste question! Je crois qu'il y a deux choses importantes à prendre en compte: avoir l'appui d'un grand constructeur et disposer d'une visibilité à long terme, et pour moi "long terme" ça veut dire aujourd'hui pouvoir élaborer des stratégies, non plus à 3 ou 5 ans comme il y a encore quelques temps, mais quasiment à 7 ans! L'un ne va pas sans l'autre me direz-vous... c'est vrai, ceux qui gagnent en 2000 s'y sont préparés depuis quelques années! Et les grands constructeurs qui entrent en ce moment dans le "grand cirque" ne se disent pas qu'ils vont rester deux ans et plier bagage victoire acquise! Il faut être lucide, investir et travailler, travailler, travailler.

Pour terminer cet entretien, avez-vous un vœu spécifique à formuler à l'endroit des supporters?
Je voudrais leur dire de rester motivés et concentrés, quoi qu'il arrive. Chaque écurie passe par des moments difficiles, éprouve des hauts et des bas... Qu'ils se disent bien que c'est dans les périodes grises que nous avons le plus besoin d'eux; qu'ils comprennent bien que l'on est tous ensemble focalisé sur le même objectif, et qu'il n'y a pas de raison pour que ça ne marche pas. Je voudrais aussi les remercier et leur dire de se montrer sur les circuits. Ce sera pour nous le plus bel encouragement!



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