AUTO HEBDO, 05.08.1992

ALAIN PROST

Le retour aux affaires


PROST A PRIS SA DÉCISION. TROUVÉ CHAUSSURE À SON PIED. EN QUELLE COMPAGNIE? MYSTÈRE. ATTENDONS LE SACRE MATHÉMATIQUE DE MANSELL POUR LE SAVOIR. CE QUI NE L'EMPÊCHE PAS DE PORTER UN REGARD CRITIQUE SUR CE QUI N'A JAMAIS CESSÉ D'ÊTRE SON MONDE.

Décontracté, il l'est pleinement depuis son retour dans un paddock de F1, au GP de Barcelone. En qualité de journaliste-commentateur. Sans carte de presse car l'origine de ses revenus ne proviennent certainement pas à 90 % de cette nouvelle activité. Qui plus est temporaire... En outre, l'interviewer en question passe le plus clair de son temps à être interviewé! De décontracté, nous le vîmes particulièrement serein. À Hockenheim. C'est à Magny-Cours, à proximité de J. M. Balestre, et à Silverstone, qu'il nous confié quelques unes de ses réflexions. Que nous vous rapportons dans l'unique but de vous prouver qu'il est resté fidèle à ses convictions malgré son éloignement des choses du volant. Notamment dans le domaine de la réglementation. Comme quoi l'homme est encore pilote. Déjà prêt à mettre son casque.

Chez Williams?
On l'a dit, je l'ai lu... Il n'y a pas que cette possibilité. Je ne confirme donc pas. Ni ne déments... Ça ne dépend pas que de moi. Ma décision sera officialisée dans le courant de l'été. Je saurais très vite quand. Mon intention reste de débuter très tôt les essais privés. Dès septembre si possible. Quant au choix de l'équipe... j'ai toujours dit que faute d'une voiture capable de faire disputer le titre mondial, d'une équipe "top", je préférerais prendre une année sabbatique. Je me suis fait une raison et ce fut finalement la meilleure solution. Gagner une course occasionnellement est une chose, disputer le championnat en est une autre. C'est pour cela que j'ai refusé l'offre de Benetton pour 91. Mon retour en F1 était conditionné par les mêmes exigences. À revenir, je veux le faire bien, pour une quatrième couronne mondiale. C'est ce qui m'habite en ce moment.

Combien d'équipes sont au sommet de ta liste?
Elles sont quatre. Deux d'entre elles offrent davantage de possibilités de disputer un championnat. Le choix d'une équipe ne se fait pas uniquement en fonction de ses résultats passés ou présents mais des programmes qu'elles appliquent pour la saison à venir. Cela étant, ce qui se passe cette année est une situation particulière.

La domination sans partage des Williams?
Plus que sur une flagrante super-compétitivité de leur part je mettrais leur supériorité sur le compte d'une stagnation, voire d'un recul des autres. En particulier de McLaren qui a passablement régressé d'une saison à l'autre. Les Williams sont d'excellentes monoplaces mais très souvent les seules à améliorer les chronos de 91. Il faut donc raisonner avec relativité.

Senna ou Mansell, quel serait l'équipier idéal?
Je n'ai aucun a priori envers l'un ou l'autre. Le passé est oublié et je reviendrai en F1 sans le moindre esprit de revanche. Uniquement dans le but de me battre pour un quatrième titre de champion du monde. C'est mon seul challenge, ma seule motivation. Le reste ne m'intéresse pas. Pour cela, il est nécessaire de mettre tous les atouts de son côté mais on ne peut pas non plus tout contrôler. Pour ma part, je ne trouverai pas très intéressant de revivre la dualité directe contre Ayrton ou Nigel mais il est évident que le fait de courir au sein de l'une des meilleures équipes du moment implique obligatoirement le risque de devoir cohabiter avec un équipier de haut niveau. C'est normal, logique.

La FISA vient d'imposer quelques nouvelles règles visant à réduire les performances et à pimenter le spectacle. D'accord avec elle?
D'accord pour diminuer les ailerons. Pas d'accord pour la réduction des pneus à 15 pouces. Une aberration sur le plan de la sécurité. Je retiens avant tout que ces nouvelles règles vont imposer de tout réétudier, de tout refaire. Châssis, suspensions, aérodynamique... C'est peut-être bien mais je reste persuadé que l'un des moyens pour rehausser le spectacle de la F1 est de revoir 80% des circuits utilisés actuellement. Pour conserver l'attrait médiatique de la F1, il est nécessaire de lui garder son aspect technologique de pointe, l'unique chose qui intéresse vraiment les grands constructeurs. On ne doit donc pas modifier sans cesse le règlement pour en arriver un jour prochain à une formule monotype! Cette façon de faire dure depuis des années alors que l'on court depuis trop longtemps sur des circuit totalement inadaptés à la F1. Par rapport à ce que les équipes et les motoristes investissent chaque année, retoucher, ces pistes pour les dix ou quinze ans à venir serait une goutte d'eau. Piste plus large, virages relevés pour pouvoir se doubler à l'intérieur, dégagement... Ce qu'ils ont fait à Barcelone n'est pas mal. Imola également.

Jusqu'à présent, les nouveaux tracés n'ont-ils pas toujours reçu la bénédiction du trio FISA/FOCA/Pilotes...
Les pilotes n'ont jamais réclamé toutes ces chicanes qui ont poussé un peu partout! Jamais! On ne nous a jamais demandé notre avis. Ceci ajouté au refrain archi-connu qu'il n'existe ni entente ni cohésion entre les pilotes fera qu'on se retrouvera de toute façon "bernie"... pardon, bernés. Nous devons réagir.

Guy Ligier le martèle souvent: la F1 va mourir, comme les Protos. Budget de plus en plus gros, moyens illimités...
La F1 coûte trop cher, oui. La récession générale existe également. Je remarque surtout que beaucoup d'équipes tournent sur un train de vie plutôt élevé. Cela étant, Williams n'a pas l'argent de McLaren ou de Ferrari, il s'en sort pas trop mal! Il ne faut pas non plus être trop pessimiste. Tant que les médias seront là... Ce qu'il faut souhaiter, c'est davantage de compétition entre le haut et le bas du tableau. Il est vrai que plus tu auras d'argent et plus grandes seront tes chances de réussite. Il faut en tout cas niveler par le haut plutôt que par le bas ainsi qu'on cherche à le faire actuellement. Plus le spectacle sera fort et techniquement impressionnant, plus il y a aura de sponsors et plus il y aura d'argent. Aujourd'hui, il y malaise parce que la F1 n'est pas très bien gérée et ceux qui l'ont gérée ces dernières années se sont moqués du monde de façon globale. Revenons à une situation plus saine. Depuis que je fréquente les paddocks en "spectacteur", je trouve les gens tristes, anxieux. La F1 devrait au contraire être une fête permanente. Faut qu'elle revive. Lui redonner une âme. Donc revoir les choses. Pour moi, la F1 devrait être à la fois une superbe confrontation technique au niveau des bureaux d'études, une splendide bagarre sportive sur la piste et une formidable plateforme d'opérations de relations publiques dans les salons. Or, si tu savais ce qu'il faut pleurer pour obtenir un laissez-passer! Ça leur crève vraiment le coeur de filer un pass à d'anciens pilotes... qui plus est ex-champions du monde pour certains. Pour moi ces gens-là ont pourtant gagné un billet d'entrée à perpétuité!

N'est-ce pas l'arrivée des grands constructeurs qui a modifié l'environnement de la F1?
Il est désormais obligatoire d'avoir avec soi un industriel pour viser la victoire. L'évolution des moteurs et de l'électronique l'a imposé. Un artisan ne peut plus espérer gagner grâce à son seul savoir, sa seule expérience. Même si elle est colossale par rapport à celle d'un grand constructeur. La conjoncture générale contraindra sans doute les gens à dépenser moins mais cela n'aura aucune incidence sur la qualité du spectacle ou sur les résultats. Williams/Renault le prouve par rapport à McLaren/Honda ou Ferrari/Fiat.

Quelle est, théoriquement, la meilleure écurie?
Celle qui peut compter sur l'appui d'un grand constructeur mais qui sait encore travailler à la manière d'un artisan. C'est à dire avec soin, passion et responsabilité. Le bon équilibre entre ces deux données permet de tout exploiter au mieux, de ne rien gaspiller. (Ce portrait-robot ressemble à s'y méprendre à celui de Williams... NDLR).

Il faut pouvoir suivre le mouvement ascensionnel des grands industriels!
Je suis persuadé qu'un plateau de vingt voitures compétitives est plus intéressant qu'un plateau de 26 monoplaces dont le tiers est incapable de mettre un pied devant l'autre ou avec seulement trois pilotes en mesure de se battre pour la victoire. Oui, je suis pour l'élitisme, pas pour ce nivellement par le bas qu'on veut imposer. Une erreur. Il ne faut pas raisonner à court terme, ni en ne considérant que l'argent à gagner immédiatement. La notion d'image de marque est plus importante. Que feraient les télévisions, la presse et les spectateurs face à une formule monotype?

L'année prochaine un autre coup dur va frapper la F1: la nouvelle législation anti-tabac...
Oui et j'approuve Balestre qui parle d'hypocrisie et d'utopie. La publicité des marchands de cigarettes dans le cadre du sport automobile ne crée pas davantage de fumeurs mais sert de bataille de notoriété entre ces marchands qui essaient de se piquer la clientèle. Il ne sera pas impossible de remplacer les cigarettiers mais ce sera difficile. Surtout pour les disciplines mineures et les circuits qui reçoivent une grande aide de leur part. Sans Marlboro, le GP de Pau est injouable. La F1 se débrouillera toujours. Je n'imagine pas Ron Dennis pendu à la décision de Marlboro, ni Frank Williams à celle de Camel! Par contre, une écurie plus modeste souffrira davantage. Les formules de promotion et les championnats nationaux encore plus. Pour eux, ce sera catastrophique. Qui peut remplacer les marchands de tabac? Le sport automobile coûte cher et possède trop de risques car ses résultats sont aléatoires. Un sponsor traditionnel préférera miser sur des spots télé ou dans la presse écrite. Ça ne lui coûtera pas plus cher tandis que ses résultats seront sûrs, programmables.

En forme pour affronter de nouveau la piste?
Comme jamais. Physiquement autant que moralement.

PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK CAMUS



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