AUTOSPORT, 17.02.1994

PROST ROMPT LE SILENCE
INTERVIEW DONNÉE SUR TF1 EDITÉE PAR JAMES ALLEN



This interview is also available in English!
Many thanks go to Sylvie Lacord for translating this interview!


Alain Prost n'a pas complètement renoncé à conduire une F1. Mais ce qui le pousserait à reprendre place derrière un volant pour se battre reste trouble. Dimanche dernier, dans une interview donnée à la télévision française, il a dit qu'il essaierait d'abord la McLaren, et prendra sa décision plus tard.

Alain Prost est donc sorti de son silence, et a accepté de répondre aux questions qui sont sur les lèvres de tout le monde. A-t-il changé d'avis? Pilotera-t-il cette saison? Et serait il en pourparlers avec Williams?

Donc, Alain, votre "retraite" est remise en question, vous allez reconduire une Formule 1?
Non, ce n'est pas vrai. Pas pour le moment. Cet essai avec la McLaren ne changera rien du tout. Quand j'ai déclaré, en septembre dernier, que je me retirais de la Formule 1, cela voulait dire "des Grands-Prix". J'ai même dit que cela me donnerait ainsi l'occasion d'effectuer des essais, parce que j'aurais toujours la même envie de conduire. L'occasion s'est présentée aujourd'hui: Ron Dennis tient à ce que je conduise une de ses voitures. C'est davantage pour le plaisir, et pour comparer la différence entre le châssis de 1994 et celui que j'avais l'an dernier, que j'ai accepté sa proposition. Mais je répète que ça ne changera pour le moment par rapport à la décision que j'ai prise.

Néanmoins, lorsqu'un quadruple Champion du Monde, remporte son dernier titre avec une Williams-Renault, et ensuite essaye une McLaren-Peugeot, c'est une énorme affaire non?
Peut-être que la F1 me manquait. La conduite me manquait probablement, et le travail d'équipe aussi. Ce n'est pas l'essentiel pour moi d'avoir la voiture gagnante. Gagner est primordial, mais la façon dont vous y arrivez compte encore plus. Si, par miracle, je devais faire quelque chose avec McLaren, ce serait un challenge complètement différent, parce que je devrais repartir, non pas de zéro, mais d'un niveau relativement faible pour atteindre le plus haut. Pour le moment, cependant, le problème ne se pose pas. J'ai juste envie de conduire la voiture. Mais il y a tellement de choses qui se sont passées depuis que je me suis retiré officiellement. Plein de projets, que j'attendais, n'ont pas abouti, donc je suis libre. Le côté humain pour moi est bien plus important que l'aspect sportif et médiatique. Je vais me faire plaisir en conduisant cette voiture, et après je verrais bien.

Les communiqués de presse de McLaren sont clairs: "La proposition qui a été faite à Alain Prost, pour conduire la McLaren, nous laisse espérer qu'il participera au Championnat du Monde pour McLaren."
C'est vrai, c'est clair, et ça a été le souhait de Ron Dennis pendant longtemps. C'est aussi celui de ses partenaires et de ses amis, qui sont aussi les miens. C'est justement pourquoi je vais faire ces essais. Premièrement faisons les, et après nous aviserons. Et même si j'ai l'envie folle de revenir en F1, pourquoi pas? Cela poserait vraisemblablement quelques problèmes, mais on peut toujours trouver une solution.

Quand débuterez-vous ces tests?
Pour le moment, nous n'avons rien programmé. Toutefois, début mars me semble bien en ce qui me concerne, à Estoril ou à Silverstone, mais en circuit fermé pour éviter des problèmes. C'est un test qui est très important pour moi, et qui l'est encore davantage pour McLaren et son équipe, mais il ne faut pas en attendre trop non plus. On verra par la suite. Franchement, c'est juste au niveau psychologique que je ressentirai si j'ai envie de piloter de nouveau ou non.

Y-a-t-il une date limite?
Non, pas de date limite. Pour moi l'essentiel est d'abord de conduire, puis de voir à quel point j'ai du plaisir à le faire. J'ai fait un énorme bilan depuis Adélaïde. Je ne pense pas au premier Grand Prix, je n'en connais même pas la date. Dans mon esprit, je me suis toujours retiré.

Est-ce qu'on peut imaginer le scénario suivant: Philippe Alliot débute la saison, avec Mika Häkkinen pour coéquipier, et vous arrivez en renfort vers le milieu de l'année?
C'est à Ron Dennis et à Jean-Pierre Jabouille qu'il faut poser la question. Je vous répète qu'on m'a fait signer pour piloter la voiture en essais privés. J'ai accepté alors je verrais. Cela n'a rien à voir avec le Championnat du Monde.

A combien estimez-vous vos chances de revenir en F1 pour une saison complète?
Aujourd'hui, un pour cent, pas plus.

Est-ce que votre décision sera en fonction du niveau de compétitivité des McLaren?
Oui bien sûr. Mais ce sera aussi en fonction de mes autres projets. C'est vrai que McLaren-Peugeot représente un challenge formidable. Il y a beaucoup de points positifs dans cette aventure, mais il y en a aussi des négatifs. Donc je pèserai le pour et le contre et je déciderai. Ce qui est le plus positif c'est le plaisir que j'y prendrais, alors qu'il y a bon nombre d'éléments négatifs.

Vous parlez d'autres projets. Est-ce que l'un d'eux serait de racheter Ligier-Renault?
Je pense que c'est un projet mort-né, que j'ai laissé tombé dès que j'ai commencé à m'y intéresser. Il serait impossible de se procurer des moteurs. Et puis il n'y a aucune volonté en France de faire quelque chose pour Ligier. C'est une tâche très lourde, bien plus compliquée qu'on peut supposer au premier abord.

Renault prétend que vous êtes toujours lié contractuellement avec Renault, alors que vous venez d'affirmer le contraire. Où est la vérité?
C'est uniquement une question d'interprétation, et je ne vais pas en donner les détails en public. Ce n'est pas possible d'engager Ayrton Senna en empêchant Alain Prost de pouvoir figurer dans le Championnat du Monde de F1. J'ai toujours eu d'excellents rapports avec Williams-Renault, et je veux les conserver. Mais pour l'instant, il n'y a pas, il n'y a plus aucun véritable contrat.

Si vous quittiez Renault pour Peugeot, en France ça serait un gros choc pour Renault. Je suppose que vous avez pensé?
Certainement. Mais nous sommes des mercenaires. C'est le rôle d'un Pilote de courses de conduire, et c'est le rôle du patron d'une équipe comme Williams-Renault d'embaucher Senna en pensant en priorité à l'avenir de son équipe. En France, nous n'avons pas réussi à créer une équipe française. C'est dommage, mais je crois que c'est simplement par manque de volonté. J'ai 38 ans, je dois faire quelque chose. Malheureusement, cette série d'essais aura lieu en présence du Directeur de la Compétition chez Renault, mais ce sont seulement des essais.

Si on observe les alternatives: soit vous conduisez en qualité de pilote pour un concurrent de Renault, soit vous jouez un rôle spécial chez Renault. Style Public-Relations hors normes.
Je n'ai pas l'impression que ce serait très facile, aujourd'hui, pour Renault, d'avoir Senna comme pilote, et Prost comme Public-Relations. Soyons honnêtes, pendant deux ou trois mois, j'ai tenté de trouver, en accord avec Renault, quelque chose d'intéressant. Mais c'est dur d'avoir deux images, celle de Senna et la mienne, qui sont très liées mais très différentes. De plus, il faut que je précise que c'est McLaren qui m'a demandé de faire ces essais, et pas Peugeot. Il n'y a pas franchement de pression de la part de McLaren-Peugeot de me voir participer à tout le Championnat du Monde de cette année. Ron et Jean-Pierre le savent: c'est pratiquement impossible pour eux de remporter le Championnat du Monde dès la première année, mais pour eux, c'est une très bonne opportunité d'avoir un pilote expérimenté, qui pourrait en plus leur apporter une excellente image publicitaire, et régler leur nouveau châssis.

Qui sera en position de force cette année?
Pourquoi pas Ferrari? Même s'il y a encore pas mal d'inconnues. Pourquoi pas Benetton-Ford? Même s'il y a encore un point d'interrogation concernant les moteurs. Ces deux équipes seront très fortes. Mais la meilleure combinaison reste Senna, Williams et Renault.

Voudriez-vous encore vous battre contre des voitures avec une suspension passive, où le pilote est de la plus haute importance?
Je suis dans la situation d'un sportif qui vient d'arrêter la compétition, qui pense qu'il pourrait réaliser quelque chose qu'il n'a pas encore pu faire, et qui guette une opportunité. Et une opportunité dans ce genre. J'ai eu des propositions pour participer au Championnat du Monde, de la part de Ferrari et de Benetton-Ford, mais ça voudrait dire replonger dans un système que j'ai voulu quitter et que je n'ai plus envie de retrouver. Cependant, chez McLaren, avec bien moins de pression et une bonne ambiance de travail, ça en vaudrait le coup.



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