LE SPORT, 10.03.1993

PROST: "Je suis prêt!"


Après un an d'absence, Alain Prost revient à la F1 dimanche à Kyalami. En l'absence de Senna et Mansell, le Français est le meilleur pilote du monde. Il pilote la meilleure F1 du moment, la Williams-Renault. Interview du triple champion du monde.

Vous considérez-vous comme le grandissime favori du championnat du monde?

Non, pour la simple et bonne raison que le championnat n'a pas encore commencé. C'est une des erreurs les plus fréquemment commises en F1 que de vouloir établir la hiérarchie d'une année qui débute en se basant sur la fin du précédent championnat, cinq mois plus tôt. J'ai connu ça chez Ferrari en 1990. Nous avions terminé la saison plus fort que McLaren et signé des temps prometteurs pendant l'hiver. Tout le monde nous donnait gagnants. J'étais plus réservé. A juste titre d'ailleurs, puisque nous n'avons pas gagné une course en 1991. Chez Williams, nous avons bien travaillé pendant l'hiver. Nous avons bouclé notre programme. La voiture va vite. Elle est fiable. Mais où en sont exactement nos adversaires? Dès la première séance d'essais du Grand Prix d'Afrique du Sud, je pourrai réellement juger le niveau de performances des Williams. Après trois courses, je pourrai juger le degré de fiabilité de nos adversaires. Et la, je saurai, si je suis réellement le favori du championnat. Pour l'instant, je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Je suis vigilant.

Qui craignez-vous?
Principalement les Benetton. Schumacher va très vite. Et les Benetton disposent désormais du même arsenal technologique que nous: suspensions actives, boîte semi-automatique, anti-patinage. J'ai vu les Benetton à l'œuvre à Estoril. Elles paraissent faciles à conduire, efficaces et douces envers les pneus. En plus, la nouvelle réglementation technique les avantage. En 1993, les pneus seront plus étroits qu'en 1992. Avec un moteur V8, les Benetton consomment moins que les F1 qui disposent d'un moteur V10 ou d'un V12 et embarquent donc moins d'essence. Cet avantage de poids leur permet de préserver leurs gommes en début de course, ce qui peut s'avérer déterminant avec des pneus étroits, surtout sous le chaleur de Kyalami.

En début de course, d'accord. Mais ensuite?
Effectivement, après un an d'utilisation en course des suspensions actives, les Williams-Renault devraient être cette année plus fiables que les Benetton. Tout au moins lors des premières courses du championnat. Notre objectif est donc simple: prendre le maximum de points en début de saison, avant que nos adversaires n'aient fiabilisé leur matériel. Comme l'an dernier, en fait. On a souvent dit, écrit, que Williams avait largement dominé le championnat 1992. Vrai pour la première moitié de la saison. Un peu moins vrai pour la seconde: cinq vainqueurs différents lors des cinq derniers Grands Prix. Les adversaires des Williams avaient comblé leur retard, mais trop tard.

Le règlement a changé: pneus plus étroits, séances d'essais plus courtes, ravitaillement en pneus à chaque course. Vous êtes fin metteur au point, vos talents de stratège sont reconnus. A priori, ces modifications devraient mieux vous convenir qu'à un jeune pilote comme Schumacher.
Les essais plus courts, ça ne peut pas me desservir. J'ai de l'expérience. Je devrais être capable de régler ma voiture plus vite qu'un jeune pilote. Mais le raccourcissement des séances d'essais renforce la part du hasard. Et je n'aime pas ça. Car vous êtes à la merci d'un accrochage, d'une panne mécanique. Même chose pour les changements de pneus. Plus qu'avant il faudra désormais mener ses courses en pensant à économiser les gommes, en pensant à ravitailler au moment qui vous est le plus favorable. Mais d'un autre côté un changement de pneus peut être une source d'incidents.

Mansell comptait beaucoup de partisans chez Williams. Vous l'avez remplacé. Avez-vous le sentiment que son ombre plane toujours encore?
Je ne l'ai pas remplacé. C'est lui qui a choisi de partir alors que nous devions être équipiers chez Williams cette année. Je comprends mal les raisons qui l'ont poussé à ne pas défendre son titre de champion du monde, mais il ne m'appartient pas de les commenter. Lors de mes premiers essais chez Williams, en octobre dernier à Estoril, la saison 1992 n'était pas achevée. Et je n'étais pas très à l'aise. J'avais effectivement l'impression que l'ombre de Nigel flottait sur l'écurie. Comme l'ombre de Patrese, d'ailleurs, puisque chacun savait qu'ils allaient quitter Williams en fin de saison. Depuis, je n'ai plus jamais éprouvé ce sentiment. Plus personne ne parle de Nigel, sinon pour mimer certaines de ses attitudes, évoquer certaines de ses réflexions. Avec tendresse et respect d'ailleurs. Williams a connu d'autres champions du monde que Nigel. En sport automobile, vous avez rarement le temps de vous retourner sur le passé. Il est parti. L'écurie Williams a tourné la page.

Vous avez effectué un nombre impressionnant de séances d'essais privés durant l'hiver. Plus que lorsque vous pilotiez chez McLaren ou Ferrari?
Un petit peu plus, mais pas beaucoup. J'ai surtout commence plus tôt que d'habitude puisque mon année sabbatique m'a permis d'entamer mon programme d'essais pour la saison 93 en octobre dernier, avant que la saison 92 ne soit achevée. J'avais besoin de beaucoup tourner pour me remettre physiquement dans le coup, et pour bien comprendre les possibilités qu'offre désormais l'électronique en F1.

Après une saison d'inactivité, avez-vous le sentiment d'être aussi rapide que par le passé?
C'est difficile à dire. En fait, je l'ignore. Lors d'une séance d'essais privés, ma priorité est de travailler, de faire progresser la voiture, d'engranger et de restituer des informations. Pas de signer un temps. J'avais quand même prévu un test de vitesse pure à Estoril. Ça n'a pas été possible, car mes deux dernières séances d'essais à Estoril ne se sont pas déroulées comme prévu. La première a été écourtée par un accident, dû à une défaillance des freins. Lors de la seconde, j'étais grippé. Mais je suis confiant en mes capacités d'aller aussi vite que par le passé au moment où il le faudra, c'est-à-dire lors de la première séance d'essais du Grand Prix d'Afrique du Sud, vendredi.

Physiquement, où en êtes-vous?
Je n'ai jamais été aussi affûté de toute ma carrière. C'est normal. L'an dernier, j'ai eu tout le temps voulu pour faire du sport. Mais pour un pilote, rien ne remplace le pilotage. Il est impossible de reproduire l'effort qu'exerce votre cou quand vous subissez une force de 5G dans une grande courbe, quand la tête et le casque pèsent cinq fois plus leur poids normal. En six mois d'inactivité, j'avais perdu deux centimètres de tour de cou, malgré les exercices physiques. Après un hiver passé en séances d'essais, je viens de récupérer ces deux centimètres. Et je suis parti en Afrique du Sud une semaine avant la course afin de récupérer des fatigues du voyage et de m'acclimater à l'altitude.

Quel jugement portez-vous sur Damon Hill, votre nouvel équipier?
A cette période de l'année, tous les pilotes déclarent le plus grand bien au sujet de leur équipier... Moi, je peux simplement vous dire que Damon, même s'il a peu couru en F1, possède le talent nécessaire pour gagner des Grands Prix dès cette année. Il va très vite, il connaît parfaitement la voiture, il est précis dans ses analyses et ses commentaires. On a beaucoup fait progresser la voiture ensemble. En plus, il est drôle. Je commence à connaître le milieu. On ne rencontre pas beaucoup de gens comme lui en F1.

Vous pensez remporter le titre cette année?
Oui. Je pense sincèrement qu'un quatrième titre est à ma portée, même si je sais par expérience qu'il ne faut pas accorder trop de crédit aux essais d'intersaison. Si je ne m'estimais pas capable de remporter un quatrième titre, je ne serais pas revenu en F1.

Il vous arrive de songer au record de Fangio, cinq fois titré
Mon contrat chez Williams-Renault porte jusqu'en 1994. C'est loin. Pour l'instant, j'ai deux échéances. Le 14 mars, premier Grand Prix de la saison. Et le 18 mars, date à laquelle je comparaîtrai à Paris devant le Conseil Mondial de la FISA...

... Qui vous reproche des propos désobligeants tenus à son encontre et vous menace d'une suspension...
Vous comprendrez que je ne tiens pas à m'étendre sur ce sujet. Je m'expliquerai et me justifierai le 18 mars. Ce genre de situation est pénible à vivre. Pour moi, pour l'écurie. C'est très déstabilisant. Cet hiver, nous avions besoin de sérénité pour travailler. Nous en avons été privés. Heureusement, dès que je suis au volant, j'arrive à tout oublier...

Interview: Xavier CHIMITS



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