AUTO HEBDO, 11.10.1979

Interview Alain Prost: "bon pour le service"


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par Christian COURTEL

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Cette saison a-t-elle été conforme à tes espérances?
Tout à fait. Disons qu'au départ je souhaitais rééditer, dans la manière, la saison que j'avais effectuée en 1976 quand j'avais gagné le championnat de Formule Renault. Ce que je voulais avant tout: c'était redorer le blason parce que j'en avais bien besoin après ma saison de 78 et surtout "éclater" afin d'accéder à la Formule 1 plus franchement et plus rapidement.

Tu ne t'attendais tout de même pas à être aussi vite dans le coup...
Si. Suite aux enseignements tirés en 1978, j'étais persuadé que ça allait marcher d'emblée, puis qu'ensuite on s'améliorerait au fil des courses. Néanmoins je ne pensais pas qu'on gagnerait aussi vite et aussi facilement dès les deux ou trois premières courses. Tout s'est bien passé, conformément à ce que l'on pensait avant le coup d'envoi du championnat d'Europe: le châssis comme le moteur étaient parfaitement au point. Pour le reste, je savais que j'étais entouré d'une équipe solide et expérimentée. De plus j'avais déjà l'expérience de 78, tout comme mes mécaniciens, Robert Descombes et Fernand Lidourin. On était rodé et prêt a casser la baraque... Cela dit, je persiste a penser que si l'on avait disposé d'un matériel aussi performant l'an dernier, je ne vois pas pourquoi nous n'aurions pas été champions d'Europe en 78.

Avec le recul, ne penses-tu pas que cette saison 78, sorte d'année de purgatoire, n'a pas été finalement bénéfique pour toi?
On peut toujours dire que ça fait du mal ou dire que ça fait du bien. En étant très réaliste, je pense que ça ne peut pas faire du mal; ça remet les choses en place et montre que rien n'est jamais définitivement acquis. D'un autre côté, je peux assurer que ça fait mal de se retrouver derrière du jour au lendemain. C'est une arme a double tranchant, car ça peut être dangereux. Heureusement que Renault, et Elf surtout, me soutenaient dans cette opération.

D'une manière générale, quel a été le découpage de ta saison?
Il y a eu trois étapes distinctes. D'abord ce début de championnat ou j'ai remporté trois ou quatre courses de suite. C'était vraiment l'euphorie, d'autant qu'avant la première manche de Vallelunga, je n'avais effectué qu'une dizaine de tours a Magny-Cours sous la pluie. La deuxième étape importante a été constituée par la course de Monaco, une course qu'il ne fallait surtout pas que je rate. Ce cap décisif a été franchi sans problème, de sorte qu'il ne me restait plus qu'a replonger a fond dons le championnat d'Europe. Il fallait confirmer les résultats et assurer le titre, si bien qu'à partir de début juin, après Zondvoort, la partie était gagnée. Moralement c'était dur. Nous en étions a peine arrivés à la mi-saison que déjà tous nos objectifs étaient atteints! Il ne fallait donc pas que l'on se démobilise et nous nous sommes appliqués a terminer la saison comme nous l'avions débutée. Il fallait penser a 1980; et puis ne dit-on pas que les résultats de fin d'année sont ceux dont on se souvient le mieux...

As-tu le sentiment d'avoir encore progresse cette année?
Bien sûr. Toutefois, je ne sais pas si c'est cette année ou la saison dernière qui m'a fait le plus mûrir. Mais j'ai encore beaucoup progressé, c'est sûr. Sur le plan réglage de la voiture je n'ai pratiquement fait aucune faute cette année. Pareil au plan pilotage. Si j'ai commis deux ou trois fautes, c'est vraiment le maximum. Je ne veux pas dire par là que je suis arrivé au top-niveau, ce serait prétentieux de ma part, car je sais que je ne suis pas au maximum de mes possibilités. En fait, on est au maximum quand on doit vraiment y aller, et cette année, je n'ai pas eu besoin d'y aller. Ce sont des choses que je ressens très bien au volant; maintenant quand je manque une corde de 10 cm, cela a le don de me mettre en colère! J'approche du perfectionnisme.

Et peux-tu situer plus précisément ta progression en quatre années de course?
Si l'on analyser les quatre saisons que j'ai effectuées, elles ont constitué autant de paliers importants. Je pense avoir connu toutes les facettes de la course. Il y a eu 76, la saison où il fallait gagner et ou j'ai gagné relativement facilement. 1977 ensuite, où j'ai encore gagné, mais plus difficilement; de plus, j'étais mon propre patron cette année-là, et si je considère n'avoir rien appris sur le plan pilotage, je crois avoir beaucoup progressé dans le domaine de la mise au point d'une monoplace. En 1978, je n'ai pas gagné grand-chose, mais tout compte fait, c'est sans doute la saison où j'ai le plus appris en me traînant derrière. J'étais peut-être barré en puissance par mon moteur, mais je crois que je possédais une voiture toujours parfaitement au point. Et pour finir, il y eu cette année, ou tout a baigné dans l'huile en m'imposant à un niveau assez élevé, reconnaissons-le.

En quatre saisons, tu as toujours domine ton sujet quelle que soit la catégorie. Quelle est la part du pilote par rapport à la voiture et a l'équipe dans les cinq titres que tu as glanés?
C'est facile à déterminer, et il est curieux de constater que plus tu montes dans la hiérarchie, plus la part du pilote diminue. Ainsi, en 1976, je pense, sans me vanter, que j'étais à 50 - 60 % dans la part des victoires. Il faut dire que j'étais un des rares à l'époque, avec mon équipe, à m'intéresser à la mise au point de ma monoplace. Sans bidouiller, j'avais toujours une voiture parfaitement réglée quel que soit le circuit. En 1977, j'ai gagné par le travail d'équipe et parce qu'on en voulait. Pour reprendre ta question, je ne peux pas dissocier le pilote de son équipe; c'est un tout à partir du moment où il y a une réelle homogénéité comme c'était le cas en 77 en Formule Renault Europe. Nous n'étions que trois (un pilote et deux mécaniciens) mais j'en garde un souvenir extraordinaire: nous formions un bloc. De mon côté j'ai commis quelques erreurs de pilotage cette année-là, de même que l'on a connu pas mal de problèmes mécaniques. En pourcentage, je dirais 60 % pour le pilote et l'équipe, et 40 % pour la voiture. L'an passé, le problème était différent car il s'agissait de faire débuter un tout nouveau moteur. Ensuite, comme il n'y a pas eu de succès marquants, à part Jarama, je crois qu'il est délicat et difficile de faire la part des choses. Chacun a beaucoup travaillé de son côté pour préparer 79, où là pas de problèmes: je donnerais 30 % au pinte et à l'équipe, 30 % au moteur et 30 % a la voiture.

A propos du moteur, ne craignais-tu pas que l'on lui attribue la plus grande part de tes succès cette année?
Non, parce qu'un moteur ne fait pas tout. Comme je le disais, il y a aussi la voiture, le pilote et l'équipe; c'est un tout qui est indissociable. Cela dit, il ne faut pas oublier qu'il y avait beaucoup de monde au départ des cinq ou six premières courses. Bon, par la suite, les gars ont peut-être été écœurés d'avoir a se battre pour la seconde place, mais je crois que ça fait aussi partie de la course.

Comment juges-tu le plateau de la Formule 3 de cette année?
Il était excellent. D'ailleurs il est intéressant de constater que j'ai obtenu ma première pôle-position à Monaco, soit à ma septième course de l'année! Ce qui prouve que la concurrence était assez forte. En course, je suis peut-être plus régulier, et il faut dire aussi qu'aux essais, je ne cherche jamais a faire systématiquement le meilleur chrono. J'essaye de faire abstraction de tout ça, et je m'efforce de régler ma voiture en fonction de la course. Je crois que la différence est là. Je sais qu'a partir du moment où je réalise un chrono aux essais, je serai capable de le rééditer en course, et plusieurs fois. Pour finir de répondre a la question, il y a un ou deux italiens qui m'ont fait bonne impression cette année comme Michele Alboreto ou Mauro Baldi.

Tu n'as aucune formation technique, mais ta grande force semble résider dans la mise au point. Prost et sa voiture donnent toujours l'impression de faire corps...
Je crois que j'ai le feeling comme on dit. J'essaye d'adapter la voiture à mon pilotage, et non l'inverse, comme beaucoup de pilotes le font. Ça c'est très important, et permet de progresser. Je me suis toujours intéressé aux réglages de la voiture. Je parviens assez rapidement à la régler correctement; je possède ce qu'on pourrait appeler le sens mécanique. Je me trompe rarement. Et puis, je suis un perfectionniste... En tout cas la mise au point, c'est passionnant.

Etait-ce aussi passionnant l'an passé par exemple, alors que les résultats ne venaient pas en dépit de tes efforts; ce devait être frustrant?
Moralement, c'était éprouvant. C'était difficile. Je réglais ma voiture parfaitement, je réalisais un bon tour, je gagnais quatre ou cinq dixièmes... et au lieu d'être à deux secondes du meilleur, je n'étais plus qu'a une seconde et demie! Mais sur ce plan là, c'était une expérience a connaître, et je me suis rendu compte que j'avais suffisamment de ressources morales pour ne jamais baisser les bras. D'un autre côté, cela m'a permis de progresser dans la mise au point.

La Formule 3 est-elle bien suivie par le milieu de la F1?
C'est très suivi, et même bien mieux suivi que la Formule 2, à mon sens. Je le sais par les contacts que j'ai pu avoir à ce sujet... Oui, le Championnat d'Europe et le Vandervell sont surveillés de près par les gens de la Formule 1.

As-tu eu des contacts avec des teams de Formule 1?
Mon cas est différent des autres pilotes en ce sens que Elf me suit, et c'est M. François Guiter qui s'occupe de nouer des contacts. Le seul qui soit venu me voir directement, c'est Fittipaldi. Cela dit, toutes les écuries qui ont été contactées se sont montrées intéressées. Sans doute le fait que Elf soit derrière n'y est pas étranger, mais l'un ne va pas sans l'autre. De toutes façons, il faut être réaliste et avoir les yeux en face: la course automobile marche avec intérêt.

Tu te sens mûr pour franchir le cap?
A mon avis, oui. Maintenant je me trompe peut-être mais ça m 'étonnerait... Si je me trompe, eh bien c'est que je ne suis pas mûr!



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